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5 mars 2007 1 05 /03 /mars /2007 15:54

 

 

Marie-Anne MARIOT

 

 

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Psychologue Clinicienne diplômée de l'Université Paris X (spécialisée en psychosomatique et psychopathologie de la grossesse, du nourrisson et du jeune enfant), je suis également psychothérapeute (formation à la psychanalyse Jungienne et à la thérapie brève (école de Palo Alto)).  

 

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19 rue de Beuvron 
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 « Je me suis fait une règle de considérer chaque cas comme un problème sans précédent, dont j'ignore tout. La routine peut être commode et utile tant qu'on reste à la surface des choses, mais dès que l'on touche aux problèmes importants, c'est la vie qui mène le jeu, et les plus brillants présupposés théoriques ne sont plus que mots inefficaces. » CG JUNG

 



[1] Le génographe et le métascript ont été inventés par André et Marielle GAREL, fondateurs du GRAM, 77 rue du Cardinal Lemoine, 75005 PARIS. http://www.metanalyse.org/index.htm

 

 

 

Dédié à la psychologie, ce site vous permettra  par ailleurs d'avoir des informations sur mes activités, de découvrir des articles concernant les différents champs d'application de la psychologie, des conseils de lecture et une bibliographie! N'hésitez pas à apporter vos commentaires ou références, bonne lecture !!!

 

 

 

 

 

 


 

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5 mars 2007 1 05 /03 /mars /2007 15:31

Vous êtes un homme, un vrai. Une bonbonne de testostérone avec du poil au menton. Vous savez faire un créneau du premier coup, vous lisez les cartes routières les yeux fermés, vous êtes rationnel. Un problème survient ? Vous cherchez la solution en silence. Vous feriez un sacré ingénieur. Atavisme hérité du chasseur préhistorique, vous voyez très bien de loin, mais, curieusement, vous êtes incapable de trouver le beurre dans le frigo. Vous ne savez pas faire deux choses à la fois (sauf boire une bière en regardant le foot à la télé) et, avouons-le, vous n’êtes pas très doué pour communiquer. Quand vous n’envahissez pas un pays pour expliquer votre point de vue, vous parlez, certes, mais n’utilisez que sept mille mots par jour ! Quant à vous, madame, vous êtes parfumée aux œstrogènes. Vous êtes multitâche, capable tout à la fois de travailler sur un dossier, de surveiller les devoirs des enfants, de préparer le dîner et de lire Télérama. Vous feriez une excellente secrétaire. Un problème survient ? Vous en parlez en mangeant du chocolat. Atavisme hérité de la femme préhistorique, qui gardait le nid, vous avez une vue panoramique excellente et très utile en période de soldes. De plus, contrairement aux hommes qui tournent la tête lourdement dès qu’un jupon passe à proximité, vous pouvez reluquer un joli mâle sans jamais vous faire repérer. Et si vous êtes nulle en matière de cartes routières, de créneaux ou de mathématiques, pour parler, vous êtes la plus forte : vingt mille mots par jour, de quoi faire passer votre homme pour une grosse truffe taciturne. Peu rationnelle, chère madame, mais relationnelle.

Une pipelette multifonction et un taiseux monotâche. Ne cherchez pas à changer, vous n’y pouvez rien. Ces caractéristiques sont inscrites dans vos patrimoines génétiques, dans chaque cellule de vos cerveaux. C’est irréfutable, scientifique. Prouvé. Vous n’avez qu’à lire les bestsellers à la mode (1), et vous devrez admettre l’implacable vérité : monsieur est martien, madame, vénusienne. Pensez-y lors de l’élection présidentielle : préférez-vous voter pour une tête de linotte émotive ou pour une brute rationnelle ?
(1) Pourquoi les hommes n’écoutent jamais rien et les femmes ne savent pas lire les cartes routières ?, d’Allan et Barbara Pease et Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus, de John Gray.

Mais ces comportements, d’où viennent-ils ? Et pourquoi diable les femmes seraient-elles capables de faire tant de choses à la fois ? La bravitude ? Tss, tss, tss. Parce qu’elles utilisent leurs deux hémisphères cérébraux simultanément alors que le mâle bêta n’en utilise qu’un seul. On le sait depuis une étude de 1982 : le corps calleux qui sépare les deux hémisphères cérébraux est plus épais chez la femme et favorise la communication entre les zones du cerveau. Pourquoi bavarde-t-elle quand l’homme écoute pousser sa barbe ? Parce que l’hormone féminine, l’œstrogène, favorise l’activité verbale, selon Sally Shaywitz, de l’université Yale. Et parce que la femme utilise beaucoup plus l’hémisphère gauche, voué au langage, alors que l’homme préfère s’amuser avec le droit (représentation spatiale). Explication (pré)historique : pendant que madame de Cro-Magnon papotait dans la grotte avec ses copines et rangeait les chaussettes sales en peau de bête, monsieur chassait fièrement le mammouth. Il a appris à se taire pour ne pas se faire repérer. Et à force de partir trucider le dîner au fin fond d’une nature hostile, pendant des millions d’années, il a aussi appris à se repérer dans l’espace, à savoir que pour rentrer à la maison il fallait prendre à gauche après la grosse pierre, puis à droite, puis passer au-dessus du néandertalien assommé à l’aller, puis trois fois à gauche...

Les études sur cette question abondent. Selon celle du Dr Ruben Gur, réalisée en 1980 au Pennsylvania Medical Center, la femme a un cerveau toujours en alerte : au repos, il mouline à 90 % de ses capacités contre 70 % pour le mâle, qui, lui, se détend vraiment, à la fraîche, décontracté du neurone. Ce n’est pas fini. Selon l’étude de Doreen Kimura, psychologue à la Simon Fraser University, monsieur est bien plus doué pour viser une cible, et madame, pour les travaux manuels de précision. Chasse et cueillette sont les deux mamelles ancestrales de nos aptitudes d’aujourd’hui, suggère la scientifique…

Voilà, en bref, ce que dit la science. Ou plutôt ce que les best-sellers disent de ce que dit la science. Car, ô divine surprise, à y regarder de plus près, cette science-là a tout faux. Neurobiologiste et directrice de recherche à l’institut Pasteur, Catherine Vidal est en guerre contre les stéréotypes véhiculés ces dernières années dans les médias et l’édition : « Il faut désintoxiquer les gens de la bêtise ambiante ! J’en ai marre d’entendre toutes ces c... sur les cerveaux des hommes et des femmes ! » Il faut le savoir, et la neurobiologiste le crie haut et fort : la totalité des arguments cités plus haut, et repris en boucle dans les médias, sont réfutés depuis longtemps par... la science. La théorie de l’épaisseur du corps calleux de 1982 ? Invalidée en 1997 par une enquête sur deux mille personnes qui ne voit aucune différence entre hommes et femmes. La femme plus douée pour parler ? Une gigantesque étude menée en 2004 n’a révélé aucune différence entre les sexes concernant les capacités dans ce domaine. L’activité cérébrale de la femme à 90 % au repos ? L’étude date de 1980 et n’a jamais été confirmée. La théorie des hémisphères gauche (langage) et droit (représentation spatiale) ? Lancée dans les années 70, avant l’IRM, en pleine mode du yin et du yang, elle est complètement dépassée : l’imagerie cérébrale montre que les deux hémisphères fonctionnent en permanence en interaction. Chez les deux sexes. La testostérone rend les hommes agressifs, et l’œstrogène, les femmes émotives et sociables ? Les récents progrès des neurosciences prouvent que l’être humain échappe à la loi des hormones : son cortex surdéveloppé, siège des fonctions cognitives les plus élaborées (langage, conscience, imagination...), n’est guère réceptif aux fluctuations hormonales, contrairement à celui des animaux. La préhistoire et ses atavismes ? Nous n’avons aucune trace de la répartition des tâches chez l’homme préhistorique. Le stéréotype de l’homme chasseur et de la femme au foyer est hérité du XIXe siècle. Clau­dine Cohen ( La Femme des origines) a bien expliqué comment les imaginatifs scientifiques de l’époque ont calqué leur vision de la cellule familiale conservatrice du XIXe siècle sur la préhistoire, et combien ces représentations persistent aujourd’hui. 
« Les auteurs des livres qui véhiculent ces clichés ne font pas forcément volontairement de la désinformation, dit la neurobiologiste. Nous baignons dans une culture où les rôles des uns et des autres restent bien différents, marqués. Il y a les métiers d’hommes et de femmes. Inconsciemment, c’est intégré par chacun. Il faut faire un effort intellectuel pour penser autrement. » 
Les travaux des anthropologues Françoise Héritier en Afrique et Maurice Godelier en Nouvelle-Guinée ont pourtant montré qu’il existe une grande diversité dans la répartition des tâches selon les sociétés. Dans certaines tribus africaines, ce sont les femmes qui marchent des kilomètres tous les jours pour la cueillette et assurent les deux tiers de l’alimentation du groupe. Le mythe de l’homme des cavernes en prend un coup (de gourdin). Malgré tout, les hommes et les femmes ont bien un cerveau différent. Le sexe génétique de l’embryon (XX pour les femmes et XY pour les hommes) induit la formation des organes sexuels. Des hormones sexuelles différentes vont ainsi imprégner le cerveau et influencer la formation des neurones. Mais essentiellement au niveau de la reproduction. « Pour le reste, toutes les différences de comportement entre les hommes et les femmes sont essentiellement dues à la société, à la culture et à l’éducation. Pas aux hormones, ni aux gènes », explique Catherine Vidal. Mais alors, comment expliquer que les chasseurs de gènes, ceux de l’amour romantique (!), de l’intuition féminine et des préférences sexuelles parviennent à faire publier leurs recherches fumeuses dans les meilleures revues scientifiques ? Pour celles-ci, c’est l’assurance de retombées médiatiques. En 1999, une étude sur le « gène » de la fidélité conjugale publiée par l’hebdomadaire Nature défraya la chronique. Il y a aussi les arrière-pensées idéologiques. Nombreux aux Etats-Unis, présents dans les milieux néoconservateurs, ces chercheurs déterministes estiment que tout est joué à l’avance : les capacités, les défauts, les appétences, la morale. Les méchants naissent méchants. Les hommes, incapables de trouver le beurre dans le frigidaire. Risque majeur du déterminisme : légitimer l’ordre social par l’ordre naturel.
« Les femmes sont nulles en maths », lançait peu ou prou Lawrence Summers, le directeur de Harvard, en 2005. Tollé. Démission. Sa pique aura provoqué une nouvelle étude pour faire le point sur la question. Le rapport en a été publié en septembre 2006. Ses conclusions ? « Les études sur la structure du cerveau [...] ne montrent pas de différences entre les sexes qui pourraient expliquer la sous-représentation des femmes dans les professions scientifiques [...] : cette situation est le résultat de facteurs individuels, sociaux et culturels. » Ouf !

L’ancêtre des déterministes se nomme Franz Joseph Gall. Au XIXe siècle, ce médecin allemand invente la fameuse phrénologie, dont il ne nous reste justement que... la bosse des maths. En palpant vingt-sept zones du crâne, Gall estime déjà pouvoir connaître la personnalité d’un homme. Ses théories deviennent vite un outil pour classer les humains selon leur race, leur sexe ou leur classe sociale. Dans les années 1850, le médecin français Paul Broca reprend les travaux de Gall. Il découvre le centre de la parole dans le cerveau. Et, fort de ce succès, croit pouvoir prouver la moindre intelligence des femmes en mesurant les écarts de poids du cerveau entre les deux sexes : le cerveau d’un homme est plus lourd de 181 grammes en général. « Il ne faut pas perdre de vue que la femme est en moyenne un peu moins intelligente que l’homme ! » explique le chercheur. Depuis, on sait que le poids du cerveau n’a aucun rapport avec l’intelligence : le cerveau d’Anatole France pesait 1 kilo, celui de Tourgueniev le double, et celui d’Einstein était plus léger que la moyenne (1,250 kilo). Mais les idées reçues ont la vie longue : en 1992, l’armée américaine a lancé une étrange enquête à partir de la taille des casques de six mille soldats et a conclu que la capacité crânienne était proportionnelle au QI. Inepties ! Alors, hommes, femmes, tous pareils ? Non, tous différents. « Grâce aux nouvelles techniques d’imagerie cérébrale, on sait que la variabilité individuelle l’emporte sur la variabilité entre les sexes », explique Catherine Vidal. C’est la grande découverte de ces dernières années : la plasticité du cerveau. Avec sa centaine de milliards de neurones plongés dans un bouillonnement électrique permanent, son million de milliards de synapses, il conserve nombre de ses secrets et continue d’alimenter les fantasmes. Mais on est sûr d’une chose : il évolue du berceau jusqu’au cercueil. Le bébé naît avec tous ses neurones, mais 90 % de ses con-nexions se feront dans les vingt années après sa naissance. Si les zones qui commandent la main gauche d’un violoniste professionnel ou celles de l’orientation dans l’espace d’un chauffeur de taxi sont surdéveloppées, difficile de l’imputer à un gène. L’expérience forge ce qui bourdonne sous nos fronts. Un jeune garçon sera mis très tôt sur un terrain de foot. Il développera son sens de l’orientation spatial. Une petite fille habituée à rester à la maison dans une sphère consacrée à l’échange parlera plus vite. Dès sa prime enfance, l’être humain est inconsciemment imprégné d’un schéma identitaire auquel il doit se conformer pour être accepté par le groupe. On ne dit pas à une petite fille : « Que tu es costaude ! » ou à un petit garçon : « Que tu es joli ! »
En définitive, on peut se demander pourquoi des Homo sapiens sapiens aussi évolués que nous peuvent bien se ruer sur ces best-sellers qui expliquent nos comportements par une biologie de bazar : « Le succès de ces théories tient au fait qu’elles sont rassurantes, répond la neurobiologiste. Elles nous donnent l’illusion de comprendre et de nous sentir moins responsables de nos actes. » Monsieur, vous n’aurez plus d’excuses pour le beurre dans le frigo ; madame, pour ces satanés créneaux. Le cerveau évolue. Entraînez-le !

 

Nicolas Delesalle dans Télérama n° 2978 - 10 Février 2007
http://www.telerama.fr/divers/M0702051554500.html

A noter

Le 7 février prochain, un livret intitulé Les Femmes, les sciences, au-delà des idées reçues sera distribué aux maîtres et aux professeurs de l'Education nationale. Réalisé par trois associations, Femmes et sciences, Femmes ingénieurs et Femmes et mathématiques, il a été conçu pour terrasser les idées reçues sur l'orientation scolaire des filles, tout aussi capables de briller en sciences que les garçons.

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5 mars 2007 1 05 /03 /mars /2007 15:27

Neuropsychiatre, Boris Cyrulnik est directeur d’enseignement à l’université de Toulon et du Var. Grâce à ses deux best-sellers, Un merveilleux malheur et Les Vilains Petits Canards (Odile Jacob, “Poches”, 2002 et 2004), il a popularisé la notion de « résilience », capacité à rebondir après un traumatisme. Son dernier livre, De chair et d’âme, dans lequel il s’intéresse à la biologie de l’attachement, est paru en octobre dernier chez Odile Jacob.
Philosophe et écrivain, ministre de l’Education nationale de 2002 à 2004, Luc Ferry a notamment écrit L’Homme-Dieu ou le sens de la vie (LFG, “Le Livre de poche”, 1997), dans lequel il analysait les nouvelles formes de spiritualités, et Qu’est-ce qu’une vie réussie ? (Grasset, 2002). Cette année, il a publié Apprendre à vivre (Plon), destiné aux adolescents, Kant, une lecture des trois « critiques » (Grasset) et Vaincre les peurs, la philosophie comme amour de la sagesse. La peur et l’amour

 

Luc Ferry : Dès l’origine, la philosophie – l’amour de la sagesse – s’est vouée à permettre aux humains de surmonter leurs peurs. C’est une conviction pour Epictète comme pour Epicure : tant que l’on est « coincé » par les peurs, on ne peut accéder à la vie bonne. On ne peut ni être libre ni être généreux.

A l’époque de ces philosophes grecs, et je pense que cela reste une fort belle idée, le sage n’est pas tant celui qui atteint au bonheur – ce qui ne veut pas dire grand-chose – qu’à la sérénité, c’est-à-dire à cette capacité de liberté et d’amour qui se manifeste lorsque l’on a surmonté les peurs. Ces dernières peuvent être « métaphysiques », liées à la « finitude », au sentiment de la mort, mais aussi très matérielles comme lorsque l’on est « coincé » dans ses gestes au tennis, par exemple, à cause de petites peurs intériorisées dans le corps…

 

Boris Cyrulnik : Oui, la peur est « internalisée »… On éprouve dans son corps une représentation de soi qui fait que l’on se sent ou non « serein », comme vous dites. Moi, dans mon langage habituel, je dirais plutôt « en sécurité ». Le « bébé préverbal » se regarde d’abord dans le regard des autres. Et cette image de soi dans le regard de l’autre provoque un sentiment qui s’imprègne organiquement dans le cerveau. Aujourd’hui, grâce aux neurosciences, on peut voir ce sentiment par imagerie.

On constate que tous nos enfants, à l’âge de 10 mois, quel que soit le niveau socioculturel de leurs parents, ont acquis un style affectif. Pour la plupart, il s’agit d’un « sentiment de soi “sécure” ». Grâce à cette confiance en soi primordiale, ils multiplient les interactions. Faciles à aimer, faciles à aider, ce sont eux qui ont le moins besoin des autres. Mais beaucoup d’autres ont acquis un « attachement “insécure” ». Parce que la mère est malheureuse – son histoire, son mari, la société, la guerre… –, elle ne les sécurise pas.

A ce moment-là, ces enfants s’adaptent au malaise de leur figure d’attachement par un « attachement glacé » : ils se sécurisent par des comportements autocentrés, n’ont pas d’élan vers les autres. Certains vivent un « attachement ambivalent », c’est-à-dire qu’ils ne sont bien que si leur figure d’attachement – homme ou femme – est là. Si elle s’en va, ils paniquent. Quand elle revient, ils se jettent dans ses bras, la mordent et lui tapent dessus parce qu’en partant, elle les a fait souffrir.

Enfin, quelques enfants sont complètement désorganisés. Ils seront difficiles à socialiser, et nous adultes, parce que nous ne les comprenons pas, nous les aimerons mal et nous les aiderons mal alors que c’est eux qui en ont le plus besoin. L’aventure sociale commence par cette tragédie et cette injustice.

 

L.F. : Oui, mais on peut fort bien éprouver des angoisses alors même que l’on a eu des parents adorables ! C’est ce que je trouve le plus frappant dans l’espèce humaine, même quand on n’a jamais subi de deuils terrifiants, quand on n’a pas vécu l’expérience traumatisante de la guerre, la question de la peur se pose. Même en « période de croisière », la sérénité ou la sagesse paraissent inaccessibles du simple fait que nous sommes mortels…

J’aime beaucoup Freud, mais quand il dit, dans l’une de ses fameuses lettres à Fliess : « Lorsqu’on pense à la mort, c’est qu’on est malade, car tout cela n’existe pas objectivement », je crois qu’il dit une bêtise. Je crois exactement l’inverse : quand on voit « objectivement » de quoi nous sommes faits, morceaux de chair pleins de nerfs avec une peau fragile autour, quand on songe que le moindre microbe ou la moindre faute d’inattention en traversant la rue peut nous ôter les êtres les plus chers, il me semble que l’angoisse est plutôt une forme de lucidité et non quelque chose de pathologique ! Aux yeux des Grecs, le sage est celui qui parvient à se libérer de cette peur de la mort, non à la supprimer sans doute, mais à en faire quelque chose.

 

B.C. : Mais sans peur, nous n’aurions pas de raison d’aimer ! Si, idéalement, nous vivions dans un non-lieu où tout était organisé à la perfection, nous n’aurions aucune raison de nous attacher à d’autres. Il nous faut des peurs pour que quelqu’un nous sécurise et pour que le lien nous donne confiance en nous. Quand, petit humain, j’arrive au monde, la lumière est forte, alors qu’elle était tamisée pendant neuf mois ; le bruit est fort, alors que j’ai été comme dans de la ouate pendant neuf mois ; les secousses sont fortes, alors que j’ai été dans une suspension hydrostatique pendant neuf mois ; et tout à coup, je suis manipulé, j’ai froid, donc je pleure.

A ce moment-là arrive une enveloppe sécurisante qui va régler ma première frayeur. Je m’y attache parce que c’est grâce à elle que je surmonte ma peur. Sur le plan philosophique – je vais me lancer ! –, ça veut dire que si j’étais venu au monde sans peur, je n’aurais aucune raison de m’attacher. Cela veut dire aussi que ce n’est pas en apportant le maximum de sécurité à nos enfants qu’on leur donnera confiance en eux, c’est en leur apprenant à dépasser leurs peurs. Depuis Freud et son confrère américain Spitz surtout, on nous a fait croire que plus on satisferait les besoins de nos enfants, plus on les rendrait heureux ; et on se rend compte que ça n’est pas vrai du tout. Ils sont satisfaits, mais ils sont aussi très anxieux, plus vulnérables. Donc ce n’est pas la bonne méthode. Le résultat d’une société de consommation « surcouveuse », c’est que les jeunes, maintenant, érotisent le risque. Il n’y a jamais eu autant de scarifications par exemple. Les jeunes se mettent à l’épreuve parce qu’ils n’ont pas de sens, ne savent pas qui ils sont. 

 

Avoir un idéal qui nous porte 

L.F. : Oui, car cette hyperconsommation à laquelle nos enfants sont invités – une télévision dans chaque chambre, des ordinateurs, des téléphones portables… – n’est possible que si l’on casse les valeurs spirituelles et morales qui constituaient l’essentiel de ce qui nous était enseigné. Car la structure de la consommation est celle de l’addiction. Je ne suis nullement croyant, mais je crois qu’il ne faut pas sous-estimer aujourd’hui l’effet anxiogène de cette « déspiritualisation ».

Nous croyons rendre nos enfants heureux en leur permettant de consommer, et c’est l’inverse qui se produit… Cela dit, je vous rejoins volontiers en ceci que l’on n’en finit jamais avec les peurs. Et toutes les grandes philosophies ont été pour ainsi dire conçues comme des sortes de maisons que l’on peut choisir d’habiter pour se protéger, des palais où l’on peut aller se ressourcer avant de retourner dans la rue affronter des réalités parfois difficiles. Vous pouvez « habiter » Spinoza, « habiter » Nietzsche ou Kant comme vous habiteriez des maisons avec des architectures différentes.

Et pourquoi y a-t-il une pluralité de maisons philosophiques ? Parce que la structuration des peurs n’est pas la même en chacun d’entre nous, ni non plus identique historiquement dans les différentes sociétés.

 

B.C. : Nous avons tous une maison dans la tête ! Et cette maison que l’on se construit parle de notre vision du monde. Dans un de mes livres, j’avais illustré ce thème par une fable : un pèlerin se rendant à Chartres voit sur le bord de la route un homme en train de casser des cailloux. Celui-ci grimace, respire le malheur. Alors le pèlerin s’arrête et l’interroge : « Monsieur, qu’est-ce que vous faites ? » L’homme, malheureux, lui répond : « J’ai trouvé ce métier stupide et mal payé. Et j’ai mal au dos. » Le pèlerin continue son chemin et voit un deuxième homme un peu plus loin, torse nu en train de casser des cailloux. Il lui pose la même question : « Monsieur, qu’est-ce que vous faites ? » « Eh bien moi, je gagne ma vie comme ça, au moins c’est en plein air », lui répond l’homme. Plus loin, le pèlerin voit un troisième homme occupé au même travail. Ce dernier respire le bonheur. « Monsieur, qu’est-ce que vous faites ? » Et l’homme lui répond : « Moi ? Je bâtis une cathédrale ! »

Cette fable montre que celui qui a une cathédrale dans la tête métamorphose la manière dont il éprouve le réel. Le troisième homme souffre du réel, comme les autres, mais il a une représentation de ce caillou qui lui donne sens. Je dirige actuellement des thèses sur les survivants résistants dans les camps de déportés. On y constate que ceux qui ont le mieux supporté l’horreur sont ceux qui avaient une « cathédrale dans la tête ». Le simple fait d’imaginer la même cathédrale faisait qu’ils s’aimaient entre eux et pouvaient vaincre leur peur grâce à elle. C’est alors une sublimation nécessaire, dans laquelle il y a de l’affect, du lien, de la représentation d’images…

Mais il existe aussi des sublimations morbides. Dans ces cas-là, on nie complètement le réel, et on partage le même « délire logique » avec d’autres que l’on aime car on est rentré dans la même secte – qu’elle soit politique, religieuse ou laïque. Là, on parlera de confiance en soi pathologique !

 

L.F. : Le problème, c’est que la cathédrale peut être délirante. Il ne faudrait pas prendre la fable comme si elle revenait à dire : à partir du moment où vous croyez en quelque chose, c’est bien. Non, ce n’est pas forcément bien ! L’idée de transcendance elle-même peut être un nouveau délire, et Dieu sait qu’elle l’a été, qu’elle l’est encore parfois aujourd’hui.

 L’une des grandes questions qui se pose aux sociétés laïques est sans doute la suivante : quelles valeurs spirituelles et morales, en exigeant des sacrifices de l’individu, peuvent lui permettre de sortir de lui ? L’idée que l’on va tout trouver en soi – idée qui domine parfois le discours psy, certains retours au bouddhisme ou certains thèmes de développement personnel – est une immense illusion, liée justement à la logique du monde de la consommation. Contrairement à ce que prévoyaient les grands déconstructeurs Nietzsche, Marx et Freud, le sacré n’a pas disparu. Les transcendances de jadis, verticales et inhumaines, Dieu, la patrie, la révolution, ont disparu, certes… mais au profit de transcendances nouvelles incarnées désormais dans l’humanité.

 Le sacré peut se définir comme ce pour quoi l’on serait prêt à risquer sa vie, à se sacrifier. Je pense qu’aujourd’hui les seuls êtres pour lesquels nous serions prêts à nous sacrifier sont nos proches, ceux que nous aimons, et par extension sans doute, les autres humains, comme on le voit dans l’action humanitaire. 

 

 

Besoin de transcendance 

B.C. : Attention à ces notions de « sacré », de « sacrifice » !… L’« héroïsation » des hommes leur a coûté un prix exorbitant, le sens de l’honneur les a menés à la mort dans le plus grand bonheur et la plus grande confiance en soi !

On m’a raconté l’histoire d’un officier de marine, jeune marié et jeune père. Un jour, son bateau commence à couler. Il dirige alors l’évacuation du navire, puis s’habille en tenue de parade, salue et se laisse couler avec le bateau ! Voilà un cas de plein « délire logique ». Après avoir fait son travail de capitaine, ce type aurait dû se sauver. Il avait une vie, une famille ! Non, il était soumis à une représentation grandiose et mégalomaniaque. Quand on emploie les mots de sacré ou de transcendance, on est près de Dieu. Or, il faut être un peu mégalo pour être près de Dieu…

 

L.F. : Comme Woody Allen dans Annie Hall, qui répond à sa femme quand elle l’accuse de se prendre pour Dieu qu’il « faut bien avoir un modèle ! » Non, je pense que la seule vraie transcendance que nous vivons encore aujourd’hui, c’est la transcendance de l’autre. En ce sens, l’amour est moins égocentrique qu’on ne le dit. Il incarne assez bien ce que le philosophe allemand Husserl désignait comme une « transcendance dans l’immanence » : l’amour n’est nulle part ailleurs qu’en soi, à l’intérieur de l’intérieur, au cœur comme on dit, et pourtant il nous fait sortir de nous et porte sur autre chose que soi. On pourrait montrer comment la naissance de la famille moderne, c’est-à-dire la naissance du mariage d’amour au XIXe siècle a de ce point de vue complètement bouleversé nos vies, notamment en nous amenant à découvrir autrement le « continent enfance »…

 

B.C. : Oui, quand leurs parents étaient plus faibles qu’eux, les enfants étaient gentils avec leurs parents parce qu’ils étaient plus forts grâce à eux. Aujourd’hui, pour la première fois depuis la Révolution française, nos enfants se sentent écrasés par la réussite des adultes. Comme quoi nous transmettons aussi à notre insu, par ce que nous sommes devenus, par ce que nos familles et notre culture ont fait de nous. C’est ainsi : la transmission de la confiance en soi ou de la non-confiance en soi se fait sans que nous ayons de contrôle sur elle ! 


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21 février 2007 3 21 /02 /février /2007 16:13

On ne présente plus Freud. Père fondateur de la psychanalyse, il est devenu un mythe. Ses élèves ont malheureusement érigé en dogme le moindre de ses propos, en rigidifiant ainsi en corpus théorique clos sur lui-même la pensée inventive d'un homme qui fut avant tout un grand explorateur des terres inconnues du psychisme humain. Mon propos sera, plutôt que de retracer sa biographie, de rappeler, de façon la plus simple et la plus accessible, ce qui fut à l'origine de son intuition créatrice.Freud, neurologue viennois, s'intéresse de près à l'hystérie, et à son cortège de symptômes apparemment mystérieux, protéiformes, mettant en échec le savoir médical qui tente de les classifier. Mais il décide de rompre avec cette démarche qui lui apparaît vaine. Une de ses patientes lui dit un jour : "Ne bougez pas ! Ne dites rien ! Ne me touchez pas". Ce faisant, et sans le savoir, elle lui propose à sa manière ce qui deviendra le cadre du futur dispositif analytique : un divan, sur lequel s'allonge le patient, et derrière lequel l'analyste, silencieux, écoute. Un autre jour, cette même patiente, en colère, lui demande de cesser de l'interrompre en lui posant des questions : "Laissez-moi parler librement" lui lance-t-elle. Freud, à partir de là, va simplement écouter ce que ses patientes ont à dire, en leur proposant de dire tout ce qui leur vient à l'esprit, sans restriction aucune. Il découvre alors que les symptômes hystériques n'apparaissent pas au hasard mais qu'ils constituent une sorte de langage du corps, qu'il s'agit de décrypter, de comprendre. Ils sont ordonnés par une logique dont la personne qui souffre n'est pas consciente. 

Freud découvre ainsi l'inconscient, qui est une sorte de savoir en nous qui ne se sait pas, et qui ordonne à notre insu certains de nos comportements. Cet inconscient, il se met à son écoute, et tente de le déchiffrer, à la manière dont on déchiffre des hiéroglyphes égyptiens ou une langue inconnue. L'essentiel est là : Freud fait la découverte que l'être humain est traversé par un discours qui le dirige et qu'il ne maîtrise pas, et dont il n'a pas conscience. Son génie est de s'intéresser à ce discours et de tenter de le débusquer, c'est-à-dire de l'entendre derrière et à travers le discours habituel. C'est ce qu'il appelle l'attention flottante du psychanalyste. Il s'intéresse de près aux lapsus, c'est-à-dire aux petits ratés langagiers qui viennent dire, à notre corps défendant, une vérité sur nous-même, vérité cachée, vérité que nous ignorons et qui se dévoile à nous dans un effet de surprise, pour peu que nous en prenions conscience. Freud, le premier, va considérer les rêves dans cette optique. 

Pour lui, les rêves constituent la voie royale vers l'inconscient,en ce sens qu'ils contiennent des jeux de mots significatifs, qui renvoient à des contenus inconscients refoulés. Tel mot du rêve peut renvoyer à un autre mot, et par là renvoyer à un souvenir, à un affect. Ou encore, peut receler un jeu de mots caché. Les rêves, pour lui, expriment la réalisation d'un désir.
Intéressons-nous un instant à ce dispositif bien particulier que Freud invente et qui est à l'origine de la construction de la psychanalyse. En faisant s'allonger les personnes sur un divan, tout en restant assis derrière elles, il supprime l'élément visuel pour centrer la cure sur la parole. Selon le principe de l'association libre, c'est-à-dire le fait de dire librement et avec le moins de retenue possible ce qui vient à l'esprit. Cette situation asymétrique (entre analyste et analysant) permet de provoquer une régression thérapeutique et d'activer le transfert. Car la découverte de la psychanalyse, c'est avant tout la découverte du transfert. Et ici encore, c'est une patiente qui va - en quelque sorte - l'enseigner à Freud. Une patiente soignée par le Docteur Breuer qui pratiquait sur elle l'hypnose et une thérapie par la parole (ou "talking cure"). Breuer avait ainsi constaté que ses symptômes disparaissaient à l'évocation de certains souvenirs. Un jour, ce dernier fut appelé d'urgence à son domicile où, en pleine crise d'hystérie, elle se comportait comme si elle accouchait de l'enfant... du Docteur Breuer. La légende raconte que Breuer, qui était marié, prit peur de l'intensité de cette relation qui prenait un caractère "amoureux" et mit un terme à son traitement, pour partir ensuite en vacances avec sa femme et lui faire un enfant ... 

Outre la légende, ce qui est intéressant c'est l'intensité émotionnelle particulière que prend tout à coup la relation entre analyste et patient, et où se reproduisent des affects du passé. Un certain nombre de choses se rejouent, dans tous les sens du terme : re-jouer, remettre en jeu pour pouvoir donner une autre issue. Freud donnera le nom de transfert à ce phénomène, et y verra un véritable levier thérapeutique pour la cure.
Freud, dans un échange de correspondance avec un ami médecin ORL, Wilhelm Fliess, aura l'occasion d'appliquer à lui-même la méthode d'analyse qu'il emploie avec ses patients et de vivre avec lui une amitié mêlée de transfert. Freud découvre alors le complexe d'Oedipe, et tente une sorte de "cartographie" de l'inconscient qu'il subdivise en plusieurs régions : le Ca, le Moi, et le Surmoi. Il oppose Eros et Thanatos, pulsion de vie et pulsion de mort.


De Freud à Jung
 

Jung est un des premiers lecteurs de "L'interprétation des rêves" de Freud, et est vite conquis. Il y trouve une confirmation de ses expériences d'association (voir
Réflexions sur le rêve et l'inconscient).
Les deux hommes se rencontrent à Vienne, et très vite, ils tombent d'accord sur le fait que le transfert est l'essentiel du traitement. Jung adhère aux positions de Freud, notamment sur l'existence du refoulement. Mais déjà, à l'occasion d'une de leurs premières rencontres, un désaccord significatif surgit entre eux, concernant la primauté que Freud accorde aux facteurs sexuels. Ecoutons Jung en parler, dans son livre "Ma vie" :
 "J'ai encore un vif souvenir de Freud me disant : "Mon cher Jung, promettez-moi de ne jamais abandonner la théorie sexuelle. C'est le plus essentiel ! Voyez-vous, nous devons en faire un dogme, un bastion inébranlable." Il me disait cela plein de passion et sur le ton d'un père disant : "Promets-moi une chose, mon cher fils : va tous les dimanches à l'église !" Quelque peu étonné, je lui demandai : "Un bastion - contre quoi ?" Il me répondit: "Contre le flot de vase noire de ..." Ici, il hésita un moment pour ajouter : "... de l'occultisme !" Ce qui m'alarma d'abord, c'était le "bastion" et le "dogme"; un dogme c'est-à-dire une profession de foi indiscutable, on ne l'impose que là où l'on veut une fois pour toutes écraser un doute. Cela n'a plus rien d'un jugement scientifique, mais relève uniquement d'une volonté personnelle de puissance. Ce choc frappa au coeur notre amitié. Je savais que je ne pourrais jamais faire mienne cette position. Freud semblait entendre par "occultisme" à peu près tout ce que la philosophie et la religion - ainsi que la parapsychologie qui naissait à l'époque - pouvaient dire de l'âme. Pour moi, la théorie sexuelle était tout aussi "occulte", c'est-à-dire non démontrée, simple hypothèse possible, comme bien d'autres conceptions spéculatives. Une vérité scientifique était pour moi une hypothèse momentanément satisfaisante, mais non un article de foi éternellement valable. Sans bien le comprendre alors, j'avais observé chez Freud une irruption de facteurs religieux inconscients. De toute évidence, il voulait m'enrôler en vue d'une commune défense contre des contenus inconscients menaçants."
 

Et c'est précisément cet "occultisme" que Jung va vouloir comprendre et explorer. Pour lui, le facteur religieux est une composante même de l'inconscient humain, et ne peut pas se réduire à un simple phénomène de sublimation des pulsions sexuelles. 
Comme l'écrivait fort joliment Robert Maggiori dans "Libération", "Freud, d'après Jung, n'aurait visité qu'un "atelier", celui où l'on explore les lois qui régissent la formation des images du désir. Jung, quitte à devoir rassembler chaotiquement toutes les sciences, a voulu explorer l'usine entière, l'incommensurable laboratoire de l'imagination créatrice. Il voulait d'abord guérir les maladies de l'âme et s'est trouvé peu à peu tenaillé par la passion de découvrir le secret même de l'âme de l'homme et de l'âme du monde ..." 
Ce processus, et les images qui l'accompagnent, Jung en retrouve simultanément la trace dans les mythologies et légendes les plus diverses, ainsi que dans les religions de toute culture et de toute époque de l'humanité.Mais c'est surtout en se penchant sur l'alchimie que Jung va trouver une base historique lui permettant d'accréditer son hypothèse de l'inconscient collectif et des archétypes (voir Alchimie et transformation intérieure). 

La confrontation avec le monde oriental lui apportera une confirmation similaire. Son livre "Commentaires sur le mystère de la Fleur d'Or" marquera un tournant dans son oeuvre.
Dans une interview donnée à un journaliste du New York Times, Jung, en 1953, s'exprimait ainsi : "Il est beaucoup plus important d'avancer des faits qui exigent une conception radicalement différente de la psyché, c'est-à-dire de nouveaux faits inconnus de Freud et de son école. Il n'a jamais été de mon propos de critiquer Freud à qui je dois tant. J'ai été beaucoup plus intéressé par la poursuite de la route qu'il a tracé, c'est-à-dire de pousser plus loin la recherche sur l'inconscient qui fut si tristement négligée par sa propre école."  En 1934 déjà, Jung écrivait au Dr Bernhard Baur-Celio : " Mais il est encore une chose que je voudrais vous dire : ce qu'on appelle exploration de l'inconscient dévoile en fait et en vérité l'antique et intemporelle voie initiatique. La doctrine de Freud est une tentative apotropaïque d'ensevelissement pour se protéger des dangers de la "longue route", seul un "chevalier" risquera "la queste et l'aventiure" (en français). Rien ne disparaît définitivement, c'est l'effrayante découverte de tous ceux qui ont ouvert cette porte. Mais l'angoisse primordiale est si grande que le monde est reconnaissant à Freud de constater "scientifiquement" (quelle science bâtarde !) qu'on n'a rien vu derrière cette porte. Or ce n'est pas mon simple "credo", mais l'expérience la plus importante et la plus décisive de toute ma vie : cette porte, une porte latérale toute banale, ouvre sur un étroit sentier, d'abord anodin et facile à embrasser du regard, - étroit et à peine marqué parce que bien peu seulement l'ont suivi - mais qui mène au secret de la métamorphose et du renouveau. " (extrait d'une lettre parue dans "Correspondance", tome I, 1906-1940 ", Albin Michel, Paris, 1993).

 
BIOGRAPHIE de JUNG

"Ma vie est l'histoire d'un inconscient qui a accompli sa réalisation". C'est par ces mots, à la fois simples mais ô combien lourds de sens, que Jung, au printemps 1957, âgé alors de 83 ans, débute son autobiographie.
Des mots qui, en effet, rendent bien l'essence de son parcours, émaillé de bien peu d'événements extérieurs. Car la vraie aventure de sa vie a été intérieure, et a consisté en une plongée au coeur de l'inconscient humain. Ces mots qui, par la modestie qui s'en dégage, montrent déjà toute la distance qui séparera sa pensée de celle de Freud. L'inconscient mène le jeu. C'est un inconscient porteur de dynamismes, un inconscient processus, un inconscient à l'origine d'une évolution, d'une métamorphose de la personnalité dont parle Jung.  "Un inconscient qui a accompli sa réalisation".Jung, fils de pasteur protestant, naît en 1875 dans une petite bourgade suisse. Après des humanités au Collège de Bâle, il se lance dans des études de médecine à l'université de la Bâle. Féru de philosophie, c'est dans la psychiatrie qu'il parvient à réconcilier son souci de comprendre l'homme et l'esprit scientifique du médecin. Il écrit sa thèse de doctorat sur "la psychologie et la pathologie des phénomènes dits occultes". 

Il travaille avec le professeur Bleuler à la clinique du Burghölzli, où il est amené à soigner de nombreux patients psychotiques.
Cette fréquentation de malades gravement atteints, qui a donné à Jung cette proximité avec la folie, est à l'origine d'une autre différence par rapport à Freud, qui, en tant que neurologue dans une Vienne puritaine, a surtout eu affaire à des patients hystériques. Jung, très tôt, s'intéressera au sens des images effrayantes que produit la psyché délirante. Je pense que c'est aussi cette particularité de sa clinique qui le fera mener plus loin que Freud l'exploration du narcissisme primaire. Le processus d'individuation dont parle Jung pourrait en effet se lire comme une tentative de la psyché de guérir l'individu en le plongeant dans une régression auto-érotique (ou narcissique), qu'il faut ensuite sacrifier pour pouvoir sortir. On comprend dès lors combien la pensée de Jung a été résolument moderne, voire avant-gardiste, quand on voit l'émergence actuelle des théories sur les pathologies narcissiques. En 1902, il se fiance avec Emma Rauschenbach, qui deviendra un an plus tard son épouse, et dont il aura cinq enfants. 

Vers 1906, il découvre l'œuvre de Freud et prend publiquement position en faveur de la psychanalyse, qui lui paraît une nouvelle voie de compréhension des mécanismes psychopathologiques. Il rencontre Freud, et, très rapidement, une amitié se noue entre les deux hommes. Freud le considère comme son dauphin et successeur.
En 1909, Jung arrête ses activités en clinique pour se consacrer à une pratique privée à Küsnacht, où il se fait construire une maison le long du lac de Zurich. En 1910, il est nommé président de la "Société internationale psychanalytique". A noter, en passant, et sous forme de clin d'oeil, combien il peut paraître ridicule, de voir certains freudiens continuer à prétendre que Jung n'a jamais su manier la psychanalyse, puisqu'il a présidé la première Société de l'histoire de la psychanalyse, et analysé Freud lui-même !

1912 sera l'année qui consacre la rupture entre Jung et Freud. Jung écrit les "Métamorphoses et symboles de la libido", ouvrage dans lequel il affirme sa conception de la psyché humaine, sur plusieurs points en opposition avec la pensée de Freud, notamment parce que Jung n'admet pas que la primauté de la sexualité dans la psyché humaine.
Les deux hommes resteront profondément blessés de cette rupture, car leur déception est à la hauteur de leurs attentes réciproques. Il est profondément regrettable que cette rupture personnelle aie été suivie d'un schisme entre les deux écoles analytiques, d'autant plus que des anathèmes réciproques rendent difficile voire impossible toute confrontation sur le fond entre les deux théories pourtant respectivement si riches et, j'oserais le dire, souvent complémentaires. Après la première guerre mondiale, Jung va beaucoup voyager : en Amérique du Nord, puis en Afrique. 

En 1928, il publie "Dialectique du Moi et de l'inconscient". Il y développe son hypothèse d'un inconscient collectif, réservoir des archétypes, organisateurs inconscients de la personnalité (au même titre que le programme génétique, contenu dans l'ADN, constitue l'organisateur de nos cellules). Il y décrit les principaux archétypes, la persona (ou masque social), l'ombre (ou partie obscure de nous, correspondant en partie au contenu du refoulement dans l'inconscient personnel), l'anima (partie féminine chez l'homme) et l'animus (part masculine chez la femme), et le Soi (centre inconscient de la personnalité).
A cette époque, il entre en contact avec l'alchimie. Les textes des anciens alchimistes lui paraissent rejoindre de façon étonnante ses découvertes sur l'inconscient collectif. Ils décrivent, point par point, les stades de la confrontation avec l'inconscient, et le processus de métamorphose qui se produit quand on "laisse advenir" ses contenus. Jung découvre que dans l'idée d'une transformation de la matière pour accéder à la pierre philosophale, l'alchimiste projetait l'expérience d'une transformation intérieure (voir Alchimie et transformation intérieure). 

Dans "Psychologie du Transfert", Jung partira d'une série d'anciennes gravures alchimiques, tirées d'un traité, le Rosarium Philosophorum, pour expliquer les mécanismes du transfert qui interviennent dans l'analyse quand on aborde l'inconscient collectif. Quelques unes de ces gravures se retrouvent en tant qu'illustrations tout au long des pages de ce site.
De même, Jung va se pencher sur la spiritualité orientale, à partir d'un ancien traité taoïste, "le Secret de la Fleur d'Or". L'alchimie, comme la spiritualité orientale, décrivent bien le processus d'individuation, que Jung avait expérimenté pour lui-même, et chez ses patients. Par individuation, il entend la réalisation de la totalité et de l'individualité de l'être.En 1940, il publie l'ouvrage "Psychologie et Religion". En 1944 sort "Psychologie et Alchimie".Les années qui suivront seront pour Jung des années de maturation de son œuvre. Le 6 juin 1961, il décède à Küsnacht, dans la demeure où il avait construit une tour, au bord du lac.L'inscription qu'il y avait gravée, dans la pierre, au-dessus de la porte, était la suivante : "Vocatus atque non vocatus, Deus aderit", ce qui signifie : "Invoqué ou non invoqué, le Dieu sera là, il est omniprésent".Il voulait ainsi parler de l'inconscient, qui, reconnu ou non, agit en nous. Et accomplit sa réalisation ...

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16 janvier 2007 2 16 /01 /janvier /2007 14:36

Conférence sur la liberté, la soumission et la dissonance cognitive par François Filiatrault 

Le contexte général des recherches en psychologie sociale cognitive a comme postulat que le travail de l'esprit (du cerveau) vise à créer une représentation simple, unifiée, cohérente et stable des éléments de l'environnement, tant concret que social, et de soi-même.

La dissonance cognitive est un état d'inconfort psychologique qui surgit quand deux éléments de connaissance sont en contradiction. Immédiatement se met en place le processus dit de réduction de la dissonance, qui consiste essentiellement à modifier un de ces deux éléments. Dans le cas le plus courant, l'opposition se produit quand un élément interne (une opinion, une croyance, une attente, un choix déjà effectué) est démenti par un fait ou une information qui arrive de l'extérieur. La réduction se fait alors le plus souvent en niant ou en interprétant l'élément externe de façon à sauvegarder la cohérence de la représentation interne, ce qui amène une certaine déformation de la réalité extérieure.

Mais lorsqu'un des éléments est un comportement problématique, c'est-à-dire fait à l'encontre de l'idée que l'individu se fait de lui-même ou de ses attitudes, et qu'il est fait en public, la dissonance est d'autant plus inconfortable ; le comportement est alors plus difficile à nier qu'une simple information externe. Un des moyens de réduire la dissonance en ce cas, ou plus exactement de l'empêcher d'apparaître, est d'attribuer une cause extrinsèque au comportement, ou en d'autres mots de lui trouver une explication circonstancielle, qui déresponsabilise ou détache en quelque sorte l'individu de son acte. Si cela n'est pas possible, la réduction de la dissonance débouchera sur la rationalisation du comportement problématique, qui consiste pour la personne à ajuster ou à modifier ses « valeurs », ses opinions, son idéologie ou son concept de soi, pour les faire correspondre au comportement en question et retrouver l'impression de cohérence.

Lorsque le comportement est fait librement, l'attribution extrinsèque est impossible et la rationalisation est d'autant plus forte. Or, il suffit de déclarer la personne libre de faire ou non le comportement pour qu'une attribution intrinsèque se mette en place et que la personne se sente tributaire de son acte. La déclaration de liberté n'amène pas que plus de gens refusent de faire le comportement ; elle permet d'extorquer un comportement, amenant avec elle la soumission librement consentie, résultat de la rationalisation.

Nous vivons dans une société où chacun aime à se considérer libre, et où chacun s'estime raisonnablement à l'origine de ses comportements. Il y a sans doute une concordance entre ceux-ci et nos « idéologies » (ou nos valeurs et convictions), mais il semble bien que la direction du lien entre ces deux réalités n'est pas celle qu'on pense habituellement. Nous verrons, en effet, les conditions qui font que très souvent nous ajustons, dans ce processus de rationalisation, notre idéologie aux comportements qui nous sont extorqués à notre insu dans diverses situations, ce souvent au moyen d'une simple déclaration de liberté.

La dissonance cognitive

La dissonance cognitive est une théorie très puissante développée à partir de 1957 par Léon Festinger, un psychologue social américain. C'est une théorie extrêmement féconde et elle a donné lieu à des centaines d'expériences, qui constituent un véritable programme scientifique dans le domaine de la psychologie. Disons tout de suite que, malgré ses résultats étonnants, elle ne cherche pas à juger les êtres humains, mais plutôt à comprendre comment ils agissent et réfléchissent.

La théorie de la dissonance cognitive vient du postulat - jamais remis sérieusement en question - que le cerveau tente continuellement de donner du sens aux informations reçues, de les organiser, de créer des liens (parfois de cause à effet) entre elles, même là où il n'y en a pas, car il n'aime pas du tout la « désorientation » ou les contradictions. Plus précisément, notre cerveau recherche sens, unité, cohérence (logique interne de nos pensées), concordance (ou « consistance », c'est-à-dire que nos pensées correspondent à nos actions), stabilité (que la cohérence perdure dans le temps) et plénitude (l'impression de tout savoir, ou presque, car le cerveau ne sait pas ce qu'il ne sait pas...). [NDLR : Ces idées ont été abordées plus en profondeur dans la conférence du 13 octobre 2005 de Filiatrault intitulée La perception sociale et les théories implicites de la personnalité, dont vous pouvez consulter le compte rendu sur Internet ou dans le Québec Sceptique nº 59]. Notre conférencier fait remarquer que bien qu'on ait l'impression de posséder tous ces attributs, ce n'est jamais le cas. On ne voit nos propres incohérences et inconséquences que lors de nos rapports avec les autres ou lorsque les circonstances nous les mettent sous le nez.

En guise d'introduction, Filiatrault estime qu'il y a sans doute une certaine base physiologique à notre impression de cohérence, et qu'il s'agit peut-être d'un processus qui pourrait relever des lois d'économie en biologie. Il ajoute que cela découle certainement aussi d'un apprentissage social. Ainsi, dans notre société, la cohérence interne est extrêmement valorisée. Ceux dont les idées et les comportements paraissent cohérents sont jugés intelligents, honnêtes, forts, rationnels, stables, alors que les autres sont jugés capricieux, faibles, hypocrites ou influençables.

En premier lieu, dans notre organisation mentale, on peut s'intéresser aux relations entre les différentes cognitions. Clairement, certaines ont un rapport tout à fait neutre. Ainsi, les deux idées « Il fait froid cet hiver » et « J'admire énormément cette femme » ne sont aucunement liées. Par contre, d'autres idées peuvent avoir un lien de consonance : « Je suis contre le féminisme » et « Je laisse mon mari prendre toutes les décisions à la maison ». Enfin, certaines sont en dissonance : « Mon beau-frère est un être abject » et « Je joue aux quilles avec mon beau-frère chaque semaine » ou encore « Je suis contre toute forme de hiérarchie » et « Je viens d'accepter une promotion avantageuse ».

Plus précisément, une dissonance (terme emprunté à la musique) a lieu lorsque deux éléments de connaissance se contredisent, entrent en collision. Filiatrault fait remarquer que de telles contradictions sont inévitables, mais qu'on ne les découvre habituellement ou qu'elles ne sont suscitées que lors de contacts avec d'autres personnes (on ne se connaît pas par vision interne, mais à partir de nos rapports avec les autres). Nous verrons que ce simple état d'incohérence peut être un puissant facteur de motivation ; Aronson résume bien les enjeux importants du phénomène : « La théorie de la dissonance ne repose pas sur l'idée que l'homme est un animal rationnel ; elle suggère plutôt que l'homme est un animal rationalisant, qu'il tente d'apparaître rationnel à la fois pour les autres et pour lui-même. »

Types de dissonance

La dissonance la plus courante survient quand un élément interne (une croyance, une opinion, une habitude, une valeur...) est contredit par des informations extérieures. La dissonance génère alors un malaise, un inconfort, qu'on a d'ailleurs pu mesurer physiologiquement. Ce malaise entraîne nécessairement un mécanisme de réduction de la dissonance, soit en changeant notre élément interne, soit en niant l'information qui nous est donnée. Le conférencier donne l'exemple de quelqu'un qui a l'habitude de fumer le cigare en lisant attentivement sa revue préférée de vulgarisation scientifique, et qui parcourt un numéro de la revue qui aborde les multiples dangers du cigare pour la santé. Il y a là une dissonance qu'il ne peut éliminer, ou réduire, qu'en arrêtant de fumer, ou en niant ou dénigrant les informations contenues dans son magazine, se disant par exemple que la qualité de la revue a beaucoup baissée ces derniers temps. De même, lorsqu'on a tenté, lors d'une expérimentation, de répandre dans une entreprise la rumeur que le café était cancérigène, on a remarqué que les gros buveurs n'y croyaient presque pas, mais les autres beaucoup plus.

Supposons maintenant que l'individu soit plus impliqué et qu'il ait fait un choix. On peut alors voir comment la dissonance cognitive influence notre vision des objets et des êtres. Des études ont démontré que plus le choix qu'on a fait était important (sur le plan émotionnel ou financier, par exemple), plus on a tendance à dénigrer par la suite la ou les options qu'on a laissées de côté. Par exemple, si on a à choisir entre deux objets très semblables, le choix sera difficile ; c'est la difficulté même du choix qui indique l'égalité de valeur des deux objets. Pourtant dès que notre choix est fait, on voit tout de suite plusieurs aspects négatifs à l'objet qu'on n'a pas choisi et on est réceptif au premier chef à toutes les informations nous confirmant dans notre choix (on essaie de se convaincre de la validité de notre décision). On voit que le fait d'avoir choisi modifie instantanément notre perception de chacun des deux objets.

Version radicale de la théorie de la dissonance cognitive

Plus importante, une vision plus radicale de la théorie concerne les comportements dits « problématiques ». La dissonance ne surgit pas ici simplement d'une information qui s'oppose à un élément interne, mais bien d'un comportement fait par la personne elle-même. Et si ce comportement qui contredit nos éléments internes est fait en public, et plus encore s'il est efficace, il est beaucoup plus difficile à nier.

On peut comprendre cette idée grâce à une expérience de Festinger, présentée par Filiatrault. Festinger a d'abord fait faire à plusieurs élèves une tâche répétitive et peu intéressante, telle que visser des boulons. Puis, on a demandé aux élèves de mentir (dans une relation dyadique) en disant à des sujets potentiels que l'expérience était intéressante, cela pour rendre service aux chercheurs qui manquaient supposément de participants. On a offert à chacun des sujets d'un premier groupe 1 $ pour ce mensonge alors qu'on a donné 20 $ à ceux d'un deuxième groupe. Lorsqu'on a interrogé des membres des deux groupes par la suite à propos de l'intérêt de la première tâche, on s'est rendu compte que ceux du premier groupe avaient changé leur perception sur celle-ci et estimaient maintenant qu'elle n'avait pas été si ennuyante que ça. Le fait d'avoir menti à ce propos, et donc d'être en dissonance, les a amenés à modifier leur élément interne (ici, l'impression première) pour diminuer l'intensité du mensonge, source du sentiment de dissonance (bien sûr, quelqu'un qui aime mentir ou tromper n'aurait ressenti aucune dissonance).

Que ce soit les membres du premier groupe qui aient changé leur impression s'explique par le phénomène d'attribution, soit les explications qu'on se donne de nos propres comportements (et de ceux des autres), surtout s'ils sont efficaces. Les étudiants à qui on avait donné 20 $ « s'excusaient » eux-mêmes d'avoir menti en invoquant ce montant d'argent (attribution extrinsèque), alors que les autres ne pouvaient pas s'expliquer d'avoir menti pour seulement 1$, ce qui les a poussés davantage que les autres à modifier leur impression de la première tâche, réduisant ainsi la dissonance, en ayant l'impression que le comportement de mentir venait d'eux-mêmes (attribution intrinsèque). Filiatrault insiste sur le fait que pour que ce processus d'attribution ait lieu, il faut d'abord que les participants aient été déclarés libres de mentir ou pas. Il ne faut pas qu'ils aient l'impression que ce comportement est imposé par une cause extérieure.

Dans une autre expérience, on a demandé à des personnes, soit de façon aimable, soit de façon rude, si elles voulaient bien goûter à des sauterelles grillées. Selon ce même processus d'attribution, ceux à qui les sauterelles ont été présentées de façon brusque ont rapporté en plus grand nombre que les sauterelles avaient bon goût que ceux dont l'interlocuteur avait été très cordial. Ces derniers avaient moins besoin de se justifier d'avoir mangé une sauterelle (un comportement inhabituel) par le goût de l'insecte ; ils l'avaient mangé parce que la personne leur avait demandé si gentiment. Les autres ne pouvaient expliquer avoir mangé l'insecte pour la même raison ; la seule façon de justifier ce comportement, c'est de dire que le goût était bon...

Un même type d'étude a aussi étudié l'intériorisation des valeurs morales chez les enfants. On amène plusieurs enfants dans un local rempli de jouets et on leur permet de jouer avec tous les jouets sauf un. Aux enfants d'un premier groupe, on fait des menaces de punition sévère pour les empêcher d'y toucher alors qu'à ceux d'un deuxième groupe on fait la demande de façon beaucoup plus douce. Au premier jour, aucun des enfants ni d'un groupe ni de l'autre ne touche à l'objet. Toutefois, quand on invite les enfants à nouveau une semaine plus tard, cette fois en ne mentionnant pas d'interdiction pour aucun jouet, ceux du premier groupe s'empressent d'aller toucher le jouet interdit, alors que ceux avec qui on avait été moins menaçant ne s'y intéressent pas. Ces derniers ont intériorisé le fait de ne pas avoir joué avec ce jouet la première fois : puisqu'il n'y avait aucune menace concrète pour justifier de ne pas y toucher, s'installe l'idée que celui-ci n'est pas du tout intéressant.

De très nombreuses expérimentations et observations (comme celles faites par Festinger et Carlsmith sur des sectes qui avaient annoncé la fin du monde et l'enlèvement de leurs membres par des extraterrestres ; on imagine la dissonance qui surgit quand rien de ce qui avait été prévu ne s'est produit !) ont démontré que le besoin de cohérence est un moteur très efficace pour nous faire changer nos éléments internes (dans le cas des sectes, ils n'ont pas abandonné leurs convictions, mais plutôt prétendu que leurs prières et leur obéissance aux extraterrestres avaient sauvé le monde et ils se sont mis à prêcher encore davantage autour d'eux).

Origine de la concordance entre nos cognitions et nos comportements

Poussant plus loin la théorie, Festinger propose trois modèles de relation entre nos comportements et le milieu interne pour expliquer pourquoi nos comportements sont habituellement en accord avec nos attitudes, valeurs et autres éléments internes, nommés par Beauvois notre « idéologie ».

Premièrement, il y a le modèle « psychologisant », ainsi que le nomme notre conférencier. Ce modèle est basé sur l'idée que l'être humain est un être rationnel ; nous agirions et ferions nos choix selon nos valeurs, convictions (morales), traits de personnalité, fantasmes ou complexes, sans que des éléments extérieurs aient une grande influence sur nos actions. On conçoit alors l'humain comme étant à l'origine de ses actions, et cela est tout à fait conforme à la norme d'internalité dont Filiatrault avait parlé lors de sa conférence d'octobre 2005.

Deuxièmement, on trouve le modèle « sociologisant », un peu plus complexe, dans lequel on admet que certains éléments internes d'une personne puissent être modifiés par les informations auxquelles l'expose son rôle social ou son statut dans une situation donnée. Les informations nouvelles modifient ainsi l'idéologie de la personne, ce qui lui fait adopter de nouveaux comportements qui conviennent à cette nouvelle idéologie. Par exemple, dans un milieu de travail, un ancien chef syndical qui devient membre de l'administration va défendre ses nouveaux choix et comportements par le fait que ce nouveau poste lui fournit de nouvelles informations qui lui ont fait changer sa vision ou son point de vue sur les choses. Nous sommes ici encore en présence de l'idée que nous sommes rationnels : le comportement découle des éléments internes, même si ceux-ci peuvent être modifiés par l'expérience.

Enfin, il y a le modèle de la « rationalisation », beaucoup plus réaliste et fréquent qu'on pourrait le croire. Selon ce modèle, notre place dans un groupe, notre rôle social ou les circonstances dictent nos actions de façon pour ainsi dire automatique ; ce ne sont pas les informations nouvelles qui nous font changer de comportement, mais bien, dans le feu de l'action, les attentes de rôle ou les rapports de pouvoir. Et il pourrait bien s'agir alors de comportements nouveaux et même problématiques. Puis, après avoir agi avant de comprendre exactement pourquoi, on ajustera au besoin nos éléments internes pour justifier ces comportements, au départ non réfléchis et non rationnels. Mais il faut que ces comportements aient été faits « librement » : en effet, dès que la personne pense avoir eu le choix à cet égard, elle ne se rend pas compte des pressions ni des circonstances extérieures qui ont joué, faisant une attribution intrinsèque à son comportement, ce qui la pousse à ajuster ses éléments internes pour ne pas être en dissonance. Nous ne sommes pas ici en face d'un être rationnel, mais bien un être rationalisant. Ainsi, « la théorie de la dissonance porte sur les effets qu'a la réalisation d'une conduite sur l'organisation des notions, et non l'inverse », selon Joules et Beauvois, qui voient dans ce processus l'« internalisation » des utilités sociales. Ainsi, comme le dit encore Ibanez : « Nous ajustons nos croyances à ce que nous faisons réellement pour pouvoir continuer à penser que ce que nous faisons correspond à ce que nous pensons. » On verra que la « déclaration de liberté », qui accompagne ou masque souvent les exigences du pouvoir, est un formidable outil de manipulation.

Une liberté plutôt illusoire

La déclaration de liberté, « affirmation d'une valeur fondamentale de notre type de société » (Beauvois), est vraiment dotée d'une puissance presque magique, qui fait en sorte que la personne s'« approprie » son comportement, s'en croit à l'origine ou responsable, même s'il lui est imposé ; en faisant une attribution intrinsèque, elle pense avoir à l'intérieur d'elle-même les qualités qui seraient la cause de ce comportement. Le conférencier fait remarquer qu'il s'agit toutefois d'une liberté illusoire : des expériences ont démontré que le fait de déclarer quelqu'un libre de faire ou non une action ne change aucunement le nombre de personnes qui la font ; ça ne change que l'orientation du motif pour lequel on croit agir. Comme le disent Joule et Beauvois : « L'homme n'est déclaré libre et responsable que pour mieux rationaliser des conduites de soumission qui échappent à sa liberté et à sa responsabilité. » C'est la soumission librement consentie.

La cohérence et les manipulations situationnelles

Filiatrault termine sa conférence en rapportant une expérimentation qui fera le pont avec le sujet de sa prochaine conférence, soit la soumission librement consentie et les manipulations situationnelles.

Après avoir recruté un certain nombre de volontaires pour des expériences en psychologie, on dit à un premier groupe de ceux-ci qu'ils devront soit traverser un labyrinthe soit manger chacun un ver de terre, selon un tirage au sort. On forme aussi un groupe témoin dont les participants pourront, eux, choisir entre l'une ou l'autre action. Lorsqu'on annonce aux membres du premier groupe que le hasard a fait qu'ils devront manger un ver de terre, ceux-ci sont généralement déçus (« C'est bien ma chance ! Ça tombe encore sur moi ! »), mais ils essaient de voir le « bon côté » des choses, se rappelant par exemple que ces animaux sont pleins de protéines, estimant qu'il faut prendre cette tâche comme un défi, ou pensant à l'avance au succès qu'ils remporteront en racontant la chose à leurs amis. Les chercheurs laissent se développer cette rationalisation. Puis, ils s'excusent en disant à ces volontaires qu'il y avait eu erreur et que finalement il ne devait pas y avoir de tirage au sort : ils peuvent donc maintenant choisir eux-mêmes entre traverser le labyrinthe ou manger le ver de terre. Étonnamment, plus de la moitié de ces volontaires décident de manger tout de même un ver de terre, alors que personne du groupe témoin ne choisit de le faire par lui-même. Les gens à qui on avait d'abord dit qu'ils devraient manger le ver ont déjà adapté leurs pensées à cette idée et ils seraient en dissonance s'ils décidaient maintenant de ne pas poursuivre. Quelle incroyable technique de manipulation ! conclut Filiatrault.

 

QUESTIONS ET DISCUSSION

On demande d'abord à Filiatrault s'il ne trouve pas que cette vision de l'être humain est un peu pessimiste. Celui-ci réplique que la vraie liberté n'est pas de nier que nos comportements sont déterminés, mais de savoir où et comment. L'esprit humain est capable d'observer ces mécanismes à l'œuvre, mais c'est une vigilance de tous les instants. Il ajoute que les psychologues sociaux sont en train de mettre sur pied une véritable connaissance de l'être humain qui va remplacer, dans beaucoup de domaines, les psychologies exclusivement personnologiques. Ces dernières tentent, à partir de traits ou d'une structure de personnalité, de développer un modèle de la personne qui expliquerait l'ensemble de nos actions et décisions. Mais il semble bien que ces traits personnologiques ne sont prédictifs des comportements que lorsqu'on voit les gens agir dans les mêmes situations que celles dans lesquelles on les perçoit habituellement.

Filiatrault explique aussi à nouveau l'analogie du boucher, développée par Beauvois et dont il a parlé lors de sa conférence d'octobre 2005. La viande que l'on mange étant en fait la même chose que les muscles des animaux, on peut s'intéresser à la façon dont les biologistes et les bouchers décrivent ce même objet. Le biologiste a un rapport social d'observation (scientifique) avec les muscles : il étudie la structure du muscle, la façon dont il se contracte, les processus biochimiques de son fonctionnement, etc. De son côté, le boucher décrit la viande comme étant tendre ou filandreuse, bonne pour bouillir, faite pour être mangée bleue ou en escalope. Filiatrault souligne que nous sommes dans la vie courante devant les êtres humains comme un boucher devant la viande, et non pas comme le physiologiste devant les muscles. Nous disposons assurément d'une connaissance, mais sous forme de description utilitaire ; nous nous basons sur une évaluation sociale de la personne, et non sur une connaissance « objective » de son fonctionnement.

Dans sa conférence, Filiatrault a mentionné qu'une personne devant choisir entre deux objets a tendance à diminuer la valeur de celui qui est rejeté, dès qu'elle a fait son choix. D'un autre côté, il semble qu'une personne dépressive aurait fort pu regretter toute sa vie de ne pas avoir choisi l'autre voiture. On demande donc au conférencier si cette théorie a déjà été utilisée pour décrire certaines maladies mentales. Il semble que ces pistes n'ont pas pour le moment été examinées ; les expériences rapportées ont été faites sur des échantillons de gens ordinaires et « normaux ». Le conférencier précise qu'il ne s'agit pas de nier les différences entre les individus, mais bien de ne pas les invoquer pour expliquer nombre de comportements « sociaux ».

On parle de l'impact négatif qu'ont les comités d'éthique sur les expériences dans ce domaine. Il semble que certaines expériences mentionnées par le conférencier (par exemple, celle de Milgram sur l'obéissance à l'autorité ou celle des vers de terre) ne seraient pas permises de nos jours. Plusieurs chercheurs dans la salle sont du même avis et craignent que ces comités soient en train de tuer la recherche. Est-ce que la dissonance cognitive pourrait être utilisée contre nous par certains partis ou pouvoirs, par exemple ? Filiatrault souligne que certains chercheurs examinent déjà cette possibilité. Nous y reviendrons...

Compte rendu rédigé par Anne-Sophie Charest.

Pour en savoir plus

BEAUVOIS, J.L., Traité de la servitude libérale, Dunod, 1995.
JOULE, R.V. et BEAUVOIS, J.L., Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens, PUG., 1987.
JOULE, R.V. et BEAUVOIS, J.L., La soumission librement consentie, PUF, 1998.

A LIRE…

Jean-Leon Beauvois, Les illusions libérales, individualisme et pouvoir social , PUG. 424 pages.

Co-auteur avec R V Joule du célèbre Guide de manipulation à usage des honnêtes gens, JL Beauvois s'attaque à un sujet ambitieux, l'analyse du pouvoir social à la lueur de ses célèbres expériences en psycho-sociologie. Traité sur le pouvoir et ses dérives libérales, l'auteur distingue clairement la liberté politique et la liberté sociale: "dissociation dramatique entre l'être politique libre et l'être social libéralement soumis".
Le livre est intéressant sous 2 aspects:

       -  La critique de la notion d'opinion publique: Les sondages ne permettraient de rendre compte que 9% des attitudes des personnes interrogées. (Wicker. 1969) 

- La critique de la communication politique "asservissement des hommes politiques aux formules du marketing" et de la communication publicitaire qui participe à la "déproblématisation complète des faits de pouvoir". Plaidoyer pour le débat, la confrontation d'idées et le retour de la rhétorique à l'opposé de qu'il appelle "la propagande glauque" qui fonctionne en absence de toute argumentation, l'ouvrage s'inspire de Chomsky et se renforce des expériences de l'auteur. Essentiel dans l'analyse de nos déterminismes, il est parfois long dans sa description des effets pervers d'un libéralisme américain qui "ronge notre culture, notre terre et nos rêves".



INVITATION A LA PSYCHOLOGIE POLITIQUE

 

Quels ancêtres pour la Psychologie Politique?

La psychologie politique en tant que sous-discipline des sciences politiques existe depuis plus de 50 ans aux Etats-Unis, alors qu’en Europe elle n’est développée que dans des pays comme l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne, et demeure absente dans la plupart des autres.

Tenter de définir les racines de la psychologie politique revient à enraciner le débat autour de deux questions fondamentales : Quel type de psychologie politique cherche-t-on à ancrer dans l’histoire ? Quelle est la différence entre la psychologie sociale et la psychologie politique?

La psychologie politique telle que je l’envisage est une psychologie politique sociétale (cf. Doise et Staerklé 2002) : une approche contextualisée dans l’histoire, la société et la culture et une approche focalisée sur l’interaction et les aspects intersubjectifs du ‘meaning-making’. Tout en ayant une prise de position sociétale, elle se différencie des sciences politiques en général et de la sociologie politique en particulier par l’importance qu’elle accorde au coté subjectif et inter-subjectif de la vie politique (genèse / fonctions et non seulement description des identités, attitudes, etc.). Définie de telle manière, la vie politique n’inclut pas seulement les institutions de l’Etat, la prise des décisions politiques, l’interêt des divers acteurs (leaders, associations, lobbies, etc.) mais aussi la vie de tous les jours, les opinions, attitudes et représentations sociales qu’ont les citoyens sur le domaine politique, leurs identités sociales, leurs idéologies et valeurs, etc. Une psychologie politique sociétale doit être socialement pertinente et orientée vers l’action et l’intervention sociale. Elle ne doit pas éviter de faire face aux grands défis comme le racisme ou la léthargie politique des jeunes.

La psychologie politique sociétale se différentie de la psychologie sociale car elle essaye de conceptualiser et opérationaliser le pouvoir, en tant que variable explicative pour les comportements et les représentations, et en tant que variable à expliquer. Selon la ‘field theory’ de Kurt Lewin (1951), on doit différencier deux formes de pouvoir : d’un côté, le pouvoir propre ou le potentiel d’un individu ou groupe d’influencer des autres, et de l’autre côté le contrôle et l’influence sociale, termes qui dénotent le pouvoir en action. Les ancêtres d’une telle psychologie du pouvoir remontent jusqu’à la philosophie sociale de Machiavelli (1513) et Hobbes (1651). Ensuite, en psychologie sociale, l’investigation du désir ‘pour pouvoir après pouvoir’ (Nietzsche 1968), a produit des champs d’étude comme l’agression, la conformité à la pression intra-groupe, de l’obéissance et le pouvoir dans le langage.

Du coté psychologie sociale sociétale, il faut inclure la philosophie socio-centrique de Platon et de Hegel (1770-1831) qui inaugurait l’idée de l’existence d’un ‘esprit de groupe’, distinct de l’esprit de l’agrégation des individus faisant partie de ce groupe. En psychologie sociale sociétale, parmi les nombreuses auteurs à considérer, j’aimerais me concentrer sur deux groupes d’auteurs : la Völkerpsychologie de Moritz Lazarus, Herrmann Steinthal et Wilhelm Wundt (1832-1920) et la psychologie collective (ou ‘des masses’) de Gabriel Tarde, Scipio Sighele et Gustave Le Bon (1841-1931).

La psychologie des peuples (Völkerpsychologie), approche revendiquée en Allemagne dans la deuxième moitié du 19ème siècle, est l’étude des ‘manifestations de l’esprit’ comme les mœurs, les coûtumes, la culture matérielle, les tendances collectives, le changement social, et, en particulier, le langage. Selon Wundt, elle est l’équivalent et le complément de la psychologie expérimentale. Bien que cette approche ait été politiquement motivée (construction nationale en Allemagne), qu’elle manque d’applications empiriques et d’une méthodologie rigoureuse, et qu’elle soit ensuite tombée dans l’oublié en psychologie sociale (mais pas en anthropologie et sociologie), elle nous rappelle que les cognitions et contenus mentaux sont exprimés et formés à travers de l’interaction avec le sphère sociale, en particulier le langage, et qu’une étude de le la cognition ne devrait pas seulement se concentrer sur le ‘information processing’ individuel mais aussi sur les objectivations de l’esprit dans leur variations historiques et culturelles.

La psychologie des masses/des foules qui s’est développée simultanément à la Völkerpsychologie en France et Italie avait comme objet l’étude de l’’âme de la foule’ ainsi que de l’expérience des individus dans la foule. Plus précisément, elle essayait de comprendre pourquoi et comment les individus deviennent anormaux, irrationnels et infantiles sous l’influence de la foule – question centrale pour la bourgeoisie qui, à la fin du 19ème siècle, se voyait menacée par les soulèvements des ‘masses’ (succession de révolutions en France, l’industrialisation et l’urbanisation suivies par le fondement du socialisme, des syndicats, des manifestations de mai, la Commune de Paris, etc.). Gustave Le Bon (1841-1931), le " maître de la psychologie des masses " (cf. Freud, Moscovici), a vulgarisé ces idées dans son ouvrage La psychologie des foules. Ces travaux ont été fortement critiqués (par exemple par Moscovici 1981, Rouquette 1994 et Barrows 1990 ; voir bibliographie du séminaire) notamment pour sa conception de la ‘foule’ comme délinquante par définition, une maladie de la civilisation, qui nie simultanément les atouts de la pensée sociale et le potentiel d’action du sujet et qui érige une barrière au sens large entre les ‘masses’ (la pensée du sens commun, l’action collective) et les ‘élites’ (la logique formelle, le gouvernement). En revanche, quelques thèmes de la psychologie des masses ont été retenus par la nouvelle psychologie sociale individualisée, comme par exemple l’agression, la violence collective, et les concepts explicatifs comme la déindividuation, l’identité sociale et la catégorisation sociale ou ils expliquent des effets de groupe (Turner, Hogg, Oakes, Reicher & Wetherell 1987), l’influence sociale et la suggestion, contagion et imitation (Moscovici 1985).

Alors que, pour Le Bon, la psychologie politique est " l’art de gouverner les peuples " (art qu’il a ensuite mis en pratique comme conseilleur stratégique de Benito Mussolini), la plupart d’auteurs aujourd’hui considère que la psychologie des masses est elle-même le seul grand précurseur de la psychologie politique, éventuellement complétée par la psychologie des minorités (cf. Moscovici 1989: 16).

 

Psychologie politique et démocratie : le " démos ", ensemble des citoyens ou " la foule ", masse irrationnelle, le sujet de notre champ d’études ?

L’historien Pierre Vidal-Naquet parle du fait que la politique se crée dans le cadre de la démocratie. La politique, d’après Cornelius Castoriadis est l’invention des Grecs anciens de la même manière que la démocratie ; il s’agit de la contestation du pouvoir établi et de l’institution du pouvoir, de la possibilité de se donner ses propres lois, et pas seulement " l’art et la pratique du gouvernement des sociétés humaines ", d’après le Robert, que nous retrouvons dans toutes les sociétés organisées.

Nous considérons que la psychologie politique peut être associée à l’idée de la démocratie. La démocratie est le système qui a l’autonomie comme objectif. L’autonomie, au niveau individuel, social et politique peut se définir comme " la possibilité de la cité (communauté politique) de se donner ses propres lois, le questionnement des significations et des institutions sociales à l’infini. (La rhétorique, les sophistes, Protagoras, Thucydide, Démocrite).

Cynthia Farrar considère que " juste parce que Protagoras, Thucydide, Démocrite et leurs contemporains ne découpaient pas la vie humaine dans des domaines, comme nous le faisons de nos jours, leur manière de comprendre la politique était liée à la manière de laquelle ils se représentaient la psychologie humaine… ". Et elle rajoute que " la démocratie et la liberté dépendent de la réconciliation de la particularité individuelle avec les exigences de la vie en communauté ". p. 17.

C’est une position qui souligne le rôle d’une approche psycho-politique dont nous trouvons des ancêtres dans les travaux tant des psychologues sociaux que des anthropologues, et des sociologues .

http://www.epops.msh-paris.fr/histo27j.html



PSY et politique

 


Le site des « Cahiers de psychologie politique » où vous pouvez consulter l’intégralité des articles publiés     

 

Sur ce site vous trouverez divers articles de psychosociologues concernant l’actualité politique…  http://liberalisme-democraties-debat-public.com/plan.php3

 

http://a.dorna.free.fr/CadresIntro.htm
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16 janvier 2007 2 16 /01 /janvier /2007 14:33

(Extrait du Texte  « Lóczy a 40 ans » 1986 - disponible à l’Association emmi pikler) 


          Très tôt, Emmi Pikler avait pressenti que le nourrisson, pour prendre, garder, ou abandonner les différentes positions du corps, pour changer de posture ou se déplacer, ou encore pour apprendre à se mettre debout et à marcher, n'avait aucun besoin de l'intervention de l'adulte, que l'enfant passif devenait une personne active de même qu'elle doutait que cette intervention puisse accélérer le développement du nourrisson. Et d'ailleurs, si tel était le cas, elle ne pensait pas que cela constituait un avantage au point de vue de son mode de vie et son développement. 

 

Elle fondait ses opinions non seulement sur ses expériences professionnelles, mais aussi sur les idées de son mari pédagogue progressiste. Lors de la naissance de leur premier enfant, au début des années trente, elle décida de ne pas hâter son développement, de respecter son rythme individuel et de lui assurer, dès le début, la possibilité de prendre des initiatives, de se mouvoir librement et de jouer à sa guise. Ses parents ne placèrent jamais l'enfant dans une posture qu'il n'était pas encore capable de prendre ou d'abandonner tout seul, ils ne lui firent jamais faire de mouvements divers et ils s'abstinrent d'exercer une influence directe sur son développement moteur. En revanche, ils créèrent les conditions lui permettant de vivre dans la sérénité et l'harmonie, lui assurant l'espace nécessaire aux mouvements libres, et même un peu plus que ce dont il était capable de profiter ; ils veillèrent à ce que les vêtements ne l'empêchent pas de poursuivre ses activités, à ce que ses jouets, dont il se servait sans l'aide de quiconque, lui offrent des expériences adéquates, enfin à ce que, tout en se sentant entouré des soins affectueux de ses parents, il ait envie d'essayer toutes sortes d'activités et de connaître le monde et lui-même. Naturellement, Emmi Pikler ne se serait jamais décidée à tenter cette expérience si elle n'avait pas été convaincue de la justesse de son hypothèse ; elle estimait que, dans de telles circonstances, l'enfant qui suit son rythme propre et fait ses propres expériences, est capable de mieux apprendre à s'asseoir, se mettre debout, marcher, jouer, parler, réfléchir, etc. que celui que l'on incite à atteindre les différents stades de développement que les adultes estiment correspondre à son âge.

 

Etant donné que le développement de leur enfant répondait, dans tous les domaines, à l'attente de son mari et à la sienne, Emmi Pikler, de retour de Hongrie, devenue pédiatre de famille, a encouragé dans le même esprit, pendant une dizaine d'années, l'éducation de plus de 100 nourrissons et petits enfants. En prodiguant aux parents des conseils mûrement réfléchis et très détaillés, fondés sur ses observations régulières et continues, elle les a aidés, avant tout, à avoir confiance dans la capacité de développement de leur enfant. En tenant compte des besoins de l'enfant, ils organisaient soigneusement un mode de vie tranquille et harmonieux, en respectant son rythme de sommeil et d'éveil, en établissant un régime alimentaire équilibré mais simple, défini avant tout par l'appétit de l'enfant. Ils déterminaient aussi combien de temps l'enfant pouvait rester dehors, hiver comme été. Ils n'intervenaient ni dans ses mouvements ni dans ses jeux, ne lui faisaient pas faire d'exercices mais mettaient à sa disposition un endroit adéquat, même dans les appartements les plus petits. Les meilleures occasions d'être régulièrement avec leur enfant leur étaient offertes, essentiellement, par les repas, les changes, le bain et l'habillage. Au cours de toutes ces activités, les parents tentaient de ne pas se presser et de prendre en considération les besoins et les réactions de l'enfant, même si sa participation aux soins ralentissait les opérations : ils pouvaient alors savourer ce qui se passait entre eux.

 

 

Les parents, à leur tour, constatant l'activité sereine et indépendante de leurs enfants et conscients de la valeur de cette activité, peuvent sans sentiment de culpabilité, s'occuper d'autre chose, de leur passe-temps, par exemple, tout en restant évidemment à portée de vue et de voix .Ils ne se sentent pas esclaves de leurs enfants et ne le considèrent pas comme leur jouet. Ils trouvent plaisir à observer son activité et son développement, sont heureux en sa compagnie et dans leurs rapports avec lui. Ils attendent avec impatience le moment de se retrouver ensemble et si l'enfant essaye de prolonger ces moments en jouant, les parents ne considèrent pas cela comme de l'agressivité ou un comportement agaçant.
Les " enfants Pikler " d'autrefois ont grandi depuis longtemps et ont prouvé, par leur vie, leur travail et, ce qui n'est pas le moins important, l'éducation qu'ils donnent à leurs enfants et leur comportement de parents, que l'aide que leurs propres parents avaient reçue avait été bénéfique.


SES PRINCIPALES DECOUVERTES ET TRAVAUX DE RECHERCHE
 
 

 

 

1) - Ses principales découvertes :Myriam David, dans une journée d'étude(3) appelle brièvement quatre points concernant les principales découvertes d'Emmi Pikler :

 

(3) Journée d’étude du 13/12/03, « Bébé vécu, Bébé connu »(Introduction du Dr Myriam David)1er point : Une première donnée concerne le processus de développement du bébé. Emmi Pikler a montré que celui-ci est programmé, se déroule spontanément, dans un ordre donné. Point n'est besoin d'apprendre au bébé à se retourner, à ramper, se tenir debout, marcher, toucher, saisir, lâcher un objet, etc. Tout cela le bébé est capable de le faire, de lui-même, à mesure qu'il est exposé aux possibilités nouvelles apportées de jour en jour par son développement sensori-moteur.2ème point : La contribution majeure d'Emmi Pikler concerne le rôle essentiel que l'activité spontanée du bébé joue dans son développement. En effet, elle découvre combien le bébé prend plaisir et intérêt à exercer son activité spontanée et comment il se saisit des possibilités nouvelles offertes par son développement sensori-moteur, progressant ainsi de jour en jour à petits pas dans ses capacités et découvertes, au rythme de ce développement, chaque petit pas précédant et préparant le suivant dans un processus continu et dans un ordre donné. Ce faisant, le bébé ne poursuit pas un but, il va à l'aventure, découvre à tâtons, reproduit, maîtrise chaque acquisition au fur et à mesure de la poursuite de son chemin. On le voit capable à cet égard de faire de grands efforts et de ténacité, mais capable aussi de se reposer, parfois de regarder ailleurs, puis retourner à sa tâche.
Au travers de l'exercice de cette activité spontanée, le bébé est en vérité le moteur, l'animateur de la progression de son développement global : psycho-moteur, cognitif, psychique.
3ème point : Emmi Pikler montre l'importance de respecter toutes les manifestations spontanées du bébé, l'ordre et le rythme de leur apparition, la continuité de ce processus dont le bébé est auteur et acteur, parce que l'exercice de chaque pas prépare, sert de fondement au suivant. Il importe de ne pas le contrarier en faisant intrusion, en exposant par exemple le bébé à des postures qu'il n'a pas encore découvertes et qu'il n'est pas encore prêt à adopter, lui enlevant la joie de découvrir par lui-même et la confiance en ses propres capacités.4ème point : Emmi Pikler recherche donc les conditions qui autorisent et favorisent cette activité spontanée. Elle montre l'importance pour le bébé de bénéficier de trois espaces de vie bien distincts et qui s'alimentent l'un l'autre : 

 

 

 

 

    - Aire des soins corporels au sein d'une relation chaleureuse, intime avec la personne qui assure l'ensemble des soins et organise ces trois espaces. Cette intimité étant le fruit d'un regard attentif, permettant d'accéder à une connaissance du bébé réel, de ses progrès et acquisitions quotidiennes, de ses façons d'être, de ses capacités, celles déjà acquises, celles qu'il commence tout juste à exercer, celles qui s'annoncent, ceci favorisant la mise en œuvre des soins bien ajustés à l'état du bébé.

 - Aire de repos et de sommeil : la succession, le rythme, la durée respective, le contenu de chacun des espaces étant régulé en fonction de l'observation de l'état de l'enfant : état de développement, de vigilance, de fatigue, d'appétit, de satisfaction, etc. Afin que le bébé soit en état de bien-être corporel et qu'il puisse ainsi jouir pleinement de l'exercice de son activité spontanée dans chacun de ces espaces.

 

 2) - Recherche et travaux sur la motricité : (4)

 

 

Le livre d'Emmi Pikler " Se mouvoir en liberté dès le 1er âge "(1970 - Epuisé ; diffusion sous forme de polycopiés en accord avec les éditions PUF ) est une étude scientifique du développement de la motricité de jeunes enfants élevés dans cette institution. Une étude qui, grâce à de nombreux tableaux statistiques, révèle le comportement moteur de plus de 700 enfants sur une période de 17 ans de fonctionnement. On y trouve aussi des comparaisons avec d'autres statistiques relevées dans plusieurs manuels de pédiatrie. La plupart de ces ouvrages font état du développement moteur de jeunes enfants évalué lors d'examens cliniques neurologiques ou sont constitués de conseils pédiatriques à l'intention des parents. La majorité de ces ouvrages spécialisés intègrent à leur description, comme préalable et accompagnement des processus de développement moteur, l'aide directe de la mère ou des parents dans l'acquisition des différentes étapes de ce développement ainsi que l'utilisation d'accessoires considérés comme naturels (car habituels), tels que les babyrelax, chaise haute, babytrot, parc, etc.

Or, c'est en ces points que l'expérience de l'Institut Lóczy se différencie des descriptions de pédiatres. L'Institut Lóczy accueille des nourrissons âgés de quelques jours - orphelins ou dont les familles ne peuvent assurer plus ou moins provisoirement la prise en charge ; ils y restent au plus à cette époque, jusqu'à l'âge de 3 ans. Une réflexion sur les conditions d'accueil de ces jeunes enfants, une attention constante au développement de la personnalité de chaque enfant (une sécurité affective par attachement à un ou très peu d'adultes en particulier), permettent de leur assurer les bases nécessaires à la construction de leur personne (le fonctionnement de cet institut est longuement décrit dans l'ouvrage " Lóczy ou le maternage insolite " de G. Appell et M. David).

L'originalité de cette éducation, du point de vue du développement moteur, est la liberté proposée à ces enfants dès leur plus jeune âge et l'ouvrage d'E. Pikler relate l'observation de leur développement moteur dans leur vie quotidienne et non au cours de tests de leurs capacités. La liberté motrice consiste à laisser libre cours à tous les mouvements spontanés de l'enfant, sans lui enseigner quelque mouvement que ce soit. Le nourrisson sera toujours posé sur le dos tant qu'il ne sait pas, de lui-même, se tourner sur le ventre. Cette position sur le dos est celle qui permet le plus de détente (absence de tension pour soutenir sa tête) et le plus de possibilités d'activités propres à cet age (tourner sa tête, mouvoir ses jambes, ses pieds, ses bras et ses mains, bouger son tronc). Un enfant ne sera jamais mis dans une position qu'il ne sait déjà prendre de lui-même (on ne le mettra pas assis, ni debout avant qu'il ne le fasse de lui-même), on ne lui apprend pas à acquérir ces postures : il les découvre de lui-même, à partir de sa maturation neurologique et au gré de ses intérêts et de son désir d'expérimenter un nouveau mouvement. L'enfant essaie de nouveaux exercices, non pas poussé par un adulte qui attendrait de lui performances et précocité, mais parce qu'il se sent prêt à explorer une nouvelle possibilité, il en a envie et s'en perçoit capable. Bien sûr, pour que l'enfant puisse développer sa motricité, un certain nombre de conditions sont nécessaires :

  Une relation harmonieuse et porteuse de sens avec les adultes qui prennent l'enfant en charge

  Des conditions matérielles, telles qu'un espace suffisant, un environnement riche et varié qui donne envie d'agir, des vêtements adéquats qui n'entravent pas les mouvements. De même, un enfant n'est jamais immobilisé dans une chaise, par exemple, ou gêné dans ses mouvements par un babytrot

  Au cours des contacts avec l'adulte, des " conditions posturales " évitant de provoquer, de manière répétitive, des crispations de l'enfant (manière de le prendre pour le soulever, de le tenir, de le porter, de lui donner des soins…) L'utilisation d'accessoires, de même que l'intervention directe de l'adulte dans l'acquisition de certains mouvements résulte souvent de l'inquiétude des adultes (" si on n'apprend pas à marcher à notre enfant, il ne saura jamais marcher tout seul ") ou d'un souci de fortifier les muscles et de lui faire faire des exercices moteurs. Or, toutes ces aides que l'adulte pense apporter à l'enfant entravent un développement harmonieux de sa motricité en provoquant des crispations empêchant la coordination de l'ensemble des parties du corps.

E. Pikler a constaté chez tous ces nombreux enfants qui ont développé leur motricité de façon spontanée et par leur activité autonome, l'apparition successive de postures fondamentales. De plus, tous ces mouvements libres de l'enfant sont eux-mêmes autant " d'exercices de gymnastique " qu'il expérimente puis maîtrise peu à peu, et ce sont ces exercices répétés des centaines de fois qui vont permettre à l'enfant de découvrir l'organisation dynamique globale de son corps, de ses différents muscles et ainsi le préparer peu à peu à toutes les positions successives de plus en plus complexes dont finalement les postions assise et debout. Alors que l'enfant assis dans une chaise ou calé avec des coussins, avant qu'il ne sache s'asseoir de lui-même, va se trouver " cloué " sur place, immobilisé, réduit à une même et unique posture ; il ne pourra même pas jouer avec des objets car son équilibre est si précaire qu'un mouvement pour attraper un jouet tombé va le déséquilibrer. Ces enfants mis dans des positions qu'ils ne maîtrisent pas, restent tributaires de l'adulte malgré leur agilité et leur mobilité grandissantes dans d'autres postures, déjà maîtrisées. Cette liberté motrice permet à chaque enfant de se développer selon son rythme et les tableaux d'E. Pikler nous montrent une large dispersion des âges auxquels chaque enfant acquiert une nouvelle posture et favorise un bon équilibre, une bonne qualité de mouvement qui font constater, chez ces enfants, une grande harmonie et aisance corporelle.

Cette maîtrise de leur motricité se répercute sur le développement de toute la personnalité de ces enfants et influence leur développement psychique : ils acquièrent l'assurance dans leur corps ainsi que la prudence et apprennent à réagir avec adresse aux incidents inattendus et chutes qui peuvent accompagner leurs jeux. Ces mouvements participent à la construction d'une sécurité intérieure et d'une conscience de leur propre valeur, de leur compétence ; en expérimentant et découvrant leurs possibilités motrices, ces enfants développent un esprit d'initiative, une curiosité et un intérêt pour la découverte du monde, ils font preuve d'attention et de persévérance dans leurs tentatives ; ils découvrent le plaisir de l'activité riche, autonome et éprouvent un sentiment de réussite. Ces mouvements actifs des enfants, dont ils prennent l'initiative, jouent un rôle prépondérant dans le développement de l'intelligence : connaissance du corps propre mais aussi du monde extérieur et des objets. Ils participent à toute démarche d'apprentissage et donc de connaissance en général.

Ce développement de l'activité autonome des enfants ne signifie nullement l'indifférence des adultes : chaque enfant a besoin de partager sa joie avec un adulte qui lui est cher, lorsqu'il fait une acquisition nouvelle. Les adultes sont attentifs aux progrès des enfants et y participent en organisant un environnement approprié aux besoins de développement de chaque âge et en recherchant les conditions de cette activité autonome de l'enfant. L'attitude de l'adulte favorisant cette liberté motrice s'inscrit dans une attitude générale qui consiste à respecter l'enfant, à le considérer comme une personne capable d'initiative et de décision pour ce qui le concerne lui seul : son corps.

 

 

(4) Texte de Miriam RASSE in Revue « Vers l’éducation nouvelle » n°406 p 60 à 65 octobre 1986 sur « Se mouvoir en liberté, dès le 1er age » : un livre d’EMMI PIKLERLe docteur E. Pikler a découvert dans les années 30, à partir de l'activité motrice spontanée des jeunes enfants, un développement psychomoteur " physiologique ". Les stades de ce développement sont atteints uniquement à l'initiative des enfants, sans intervention " enseignante " de l'adulte. Après avoir observé ce développement dans des familles, E. Pikler a poursuivi sa recherche dans la pouponnière hongroise qu'elle a dirigée de nombreuses années.Adresse : Association Pikler-Loczy de France, 20 rue de Dantzig, 75 005, Tel:01 53 68 93 50

 

 

 - Aire d'exercice de son activité par lui-même : espace de jeu et d'activité libre dans laquelle l'adulte n'intervient pas directement mais qu'il prend soin d'organiser de façon à assurer sa permanence quotidienne et la sécurité du bébé. Le cadre de cet espace, sa dimension, ses limites, son contenu étant pensés en fonction du développement du bébé, de ses goûts et intérêts.                       

Emmi Pikler a rassemblé l'expérience de toutes ces années dans son premier livre " Que sait faire votre bébé ? " dont dix éditions ont été publiées en Hongrie et à l'étranger. Emmi Pikler pouvait constater que les enfants étaient généralement gais, curieux, vifs et actifs, qu'ils se développaient harmonieusement et que leurs rapports avec leurs parents et leur entourage étaient bons. Quant aux parents, eux aussi étaient contents. Bien que le système d'éducation qu'elle proposait ait exigé d'eux de réfléchir à l'organisation de leur vie et de leur environnement plus qu'ils ne le faisaient habituellement, pour que l'enfant soit et se sente vraiment en sécurité, les parents acceptaient de mettre en pratique ses conseils et étaient fiers et satisfaits de leur rôle. Ils étaient convaincus du bien-fondé de ses idées et constataient que leur enfant acquérait des expériences intéressantes, sans que leur intervention, au cours de ses activités indépendantes : ils ne pensaient pas que, pour pouvoir se considérer comme de bons parents, ils devaient toujours être à proximité de leur enfant, ni qu'ils étaient obligés de faire tout le temps quelque chose avec lui. Les enfants qui sont absorbés par leurs essais et leurs activités indépendants, n'exigent pas de leurs parents qu'ils soient présents en permanence, qu'ils participent à leurs activités, les distraient ou les aident continuellement puisque, même sans eux, ils ne se sentent pas impuissants.

 EMMI PIKLER par Judith FALK

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16 janvier 2007 2 16 /01 /janvier /2007 14:30
 
APPORT DE WINNICOTT AU TRAVAIL PSYCHANALYTIQUE A LA MATERNITE
par Monique BYDLOWSKI

C'est avec plaisir que j'ai accepté de participer à un hommage à D.Winnicott qu'organisait FRIPSI car j'y trouvai l'occasion d'exprimer ma dette à l'égard de cet auteur. Winnicott est un homme que je n'ai jamais rencontré personnellement. Il est décédé en 1971, avant même que je ne commence à m'intéresser au travail en maternité, mais la lecture de ses textes a été d'une aide considérable dans l'isolement de mes débuts.
Lorsque j'ai commencé à l'Hôpital Antoine-Béclère à Clamart, dans le service du Professeur Papiernik, mes collègues psychanalystes pour la plupart trouvaient baroque l'idée d'exporter la pensée psychanalytique sur un terrain aussi naturel que celui de la naissance. Faute de trouver écho et soutien auprès de mes pairs, j'ai cherché l'appui des textes dans différentes directions. Il y a eu la lecture des élèves de Freud, comme Hélène Deutsch qui avait appliqué à la lettre la théorie de l'Oedipe aux avatars de la vie génitale féminine. Il y a eu surtout la lecture des anthropologues et des poètes qui à travers les cultures se sont penchés sur l'enfantement. Et surtout il y a eu Winnicott qui justement écrivait : "Si ce que je dis comporte une parcelle de vérité, les poètes en auront déjà traité." Il m'était proche aussi au départ, en raison de son intérêt pour les tout débuts de la vie humaine. Sa réputation de pédiatre capable, comme on a pu le dire ici, de faire de façon psychanalytique quelque chose qui n'était pas de la psychanalyse : écouter, privilégier la réalité psychique, le monde intérieur et contenir sans interpréter en direct. Il me semblait que ce qu'il avait fait dans le champ de la pédiatrie pouvait être repensé et exporté dans le champ médical prénatal.

Enfin la lecture de Winnicott a toujours eu pour moi un effet "soignant" dans les moments difficiles et en particulier dans l'ambiance quasi traumatique du quotidien de la Maternité, effet traumatique pour le "psy" débutant, que je trouve relaté par ceux qui font la même expérience que moi et qu'il m'arrive de superviser.
C'est donc mon Winnicott privé, celui qui m'a aidée à travailler et à penser que je vais vous présenter. J'ai choisi de développer les principaux concepts qui m'ont permis d'élaborer cette clinique psychologique tellement particulière de cette période de la vie. Nous envisagerons ainsi successivement : d'abord le concept de "continuité d'existence" tel qu'il était développé dans "La capacité d'être seul" (1) et autres articles de cette veine. Deuxièmement, le concept d'unité fonctionnelle bébé-soins maternels (2). Troisièmement, le concept de "préoccupation maternelle primaire" (3) ou d'états psychiatriques normaux chez la femme enceinte et chez la jeune mère. Quatrièmement, l'usage que Winnicott fait du concept de faux self, dans l'article de 1960 (4). Enfin, le concept "d'agonie primitive" et défaillance de l'organisation défensive, tel qu'il est formulé dans l'article de 1974 "La crainte de l'effondrement", dernier article de cet auteur (5).

 
 
 
1. La continuité d'existence.
 

Dans "la capacité d'être seul", Winnicott décrit ce phénomène des premiers moments de la vie, "le sentiment d'une continuité d'existence", base à partir de laquelle peut s'élaborer la capacité de solitude. Ce fondement est paradoxal car il s'agit de l'expérience d'être seul en présence de quelqu'un d'autre, de la solitude du nourrisson en présence de sa mère. Il nous parle de "relation à soi" (ego relatedness), d'une relation en parallèle à une autre personne également seule. Relation de solitude partagée, d'absence de tension pulsionnelle permettant d'attendre calmement le retour de la tension. En terme kleiniens, on parlerait de relation de confiance en un bon objet intériorisé. Il s'agit de ce moment où l'immaturité du moi du nourrisson est compensée de façon naturelle par le support du moi offert par la mère. C'est quand il est seul que le petit enfant peut parvenir à un état de non intégration, de non orientation, où il peut se permettre d'exister sans être soit en réaction contre une immixtion extérieure, soit en intérêt ou en mouvements dirigés vers l'extérieur aussi.
Dans ces moments de solitude, ce qui arrive alors, qu'il s'agisse d'une perception ou d'une pulsion, sera ressenti comme "réel". Ce sentiment de réel sera la base d'une vie riche en choses réelles et non futiles. Winnicott fait l'analogie de ces moments avec le bonheur que l'on peut éprouver au concert ou bien en amitié, moments de solitude partagée sans excitation physique. Dans ces moments-là, toujours quelqu'un est présent intérieurement, quelqu'un d'inconsciemment assimilé à la mère, celle pour qui temporairement rien n'a compté, rien ne compte encore que les soins à apporter à son enfant. Si l'on va maintenant du côté de la clinique périnatale, on peut admettre que ce concept de continuité d'existence est très précieux. Si l'on en reprend chacun des termes, on obtient la description de l'état psychique de la fin de la grossesse saine et heureuse, période nirvanique, d'absence de tension, d'extase du Moi (d'orgasme du Moi dirait Winnicott). Ces moments heureux de la grossesse se situent vers la fin et avant que l'angoisse inévitable de l'approche de l'accouchement comme rupture ne vienne submerger la future mère. Pour les femmes saines, ayant vécu sans rupture grave les moments précoces de leur propre vie de nourrisson, la fin de la grossesse, lorsqu'elles deviennent adultes, peut être un nirvana où rien de contingent ne compte plus. La qualité d'authenticité de ces femmes n'a été évidente dès les débuts à la Maternité ; qualité d'une relation réelle, d'une proximité avec les moments humains essentiels. On peut comparer ces moments à d'autres, ceux qui sont à l'autre bout de la vie, lorsque la mort est bien accompagnée. A la fin de la grossesse et temporairement, l'enfant porté est assimilé à un bon objet interne, à la bonne mère des débuts de la vie, en présence de laquelle la solitude n'est pas le vide, mais une plénitude chargée de réalité.


 
 
 
2. Concept d'unité duelle nourrisson-soins maternels
 


L'idée d'un stade primitif nourrisson-soins maternels était déjà introduite par Freud dans "Les deux principes du fonctionnement mental" (6). A propos d'une.... "organisation esclave du principe de plaisir... le petit enfant, pour peu qu'on tienne compte des soins qu'il reçoit de sa mère, réalise presque un système mental de ce type". Winnicott relève et développe cette référence freudienne et décrit ce stade primitif où les soins maternels et le bébé dépendent l'un de l'autre et ne peuvent pas être démêlés. Ils ne se démêlent et ne se désassocient qu'au cours de l'évolution normale, ce démêlage progressif étant à la base de la santé mentale.
A l'époque où Winnicott formule cette idée, ce concept est tout à fait novateur pour les pédiatres et pour le milieu médical en général. C'est cette idée de continuité, de disjonction impossible entre le bébé et les soins maternels, qui est souvent illustrée par la célèbre formule de Winnicott "un bébé ça n'existe pas", formule d'ailleurs mal traduite. Dans l'expérience de la clinique périnatale, il me semble que pour devenir "soignante", la nouvelle mère elle-même doit retrouver, remémorer ce stade où elle était le nourrisson, associé, mêlé aux soins maternels de sa propre mère. Il s'agit d'une remémoration dans les gestes spontanés, dans les conduites les plus instinctuelles venues d'une époque antérieure au langage. On peut peut-être trouver là l'explication de la fatalité des conduites d'attachement décrites par les élèves de Bowlby, Mary Main (7) en particulier, qui soutient que la qualité d'attachement d'une petite fille a reçue lorsqu'elle était nourrisson conditionne la qualité d'attachement qu'elle va pouvoir développer avec son propre enfant. A l'occasion de sa grossesse, la femme saine retrouve ce stade primitif expérimenté pendant sa petite enfance, l'ancien nourrisson qu'elle a été, lié aux soins, et dont le souvenir direct peut être considéré comme perdu du fait du refoulement primaire. La réminiscence de ce stade d'unité à deux va donner le ton de la relation que la femme va développer avec sa grossesse, puis avec son bébé. 
Cette évolution du bébé de la dépendance absolue vers l'indépendance relative, parallèlement du principe de plaisir au principe de réalité, de l'autoérotisme aux relations objectales, la femme va la parcourir de la grossesse aux premières interactions avec son enfant. Il s'agit d'une remémoration par empathie, c'est à dire avant les représentations de mots et de symboles. Grâce aux soins maternels, grâce à l'empathie maternelle et à l'identification projective (ce sentiment fort de ce dont l'enfant a besoin), le bébé pourra développer une continuité d'être.
Si on considère que ce processus débute dès la vie intra-utérine, on peut mesurer le poids des traumatismes échographiques que Winnicott n'a pas su soupçonner de son vivant. Par traumatismes échographiques, j'entends les blessures narcissiques que la mère peut subir du fait de déclarations liées à des constatations échographiques plus ou moins pathologiques, blessures narcissiques qui attaquent l'empathie naturelle à un stade où la jeune mère ne peut pas se réparer par les autres perceptions sensorielles (comme prendre l'enfant dans ses bras, réagir à sa voix, à son odeur, etc...). On voit là les dangers potentiels du diagnostic anténatal.


 
 
 
 
3. Le concept d'"état psychiatrique normal"


chez la jeune mère apparaît dans
l'article "La préoccupation maternelle primaire" (1956). Winnicott dit : "n'était la grossesse et la naissance, cet état serait une véritable maladie". En effet, il s'agit d'un état de repli, de dissociation, un véritable épisode schizoïde au cours duquel un des aspects de la personnalité de la jeune mère prend le dessus. Dans le domaine péri et prénatal, j'ai eu la chance de constater que cet état se développe précocement pendant la grossesse, et de réfléchir à son sens métapsychologique. On peut qualifier de transparence psychique (8) cet état relationnel particulier de la femme enceinte, fait d'un appel à l'aide permanent à l'égard de référents conditionnant une grande aptitude au transfert, d'une part. D'autre part, des corrélations se font facilement entre la situation actuelle, la grossesse, et les remémorations infantiles. En effet, fantasmes, affects anciens, réminiscences, affleurent à la conscience de la femme enceinte, sans rencontrer la barrière habituelle du refoulement. On peut souligner l'intensité de l'invasion du psychisme de la future mère par ce nouvel investissement : l'enfant. Il s'agit d'une invasion purement narcissique qui conduit à désinvestir les thématiques psychiques qui lui sont étrangères. Détachées du fond de l'inconscient où elles étaient maintenues au secret par le contre-investissement, ces thématiques étrangères à la grossesse sont alors "flottantes" et peuvent être livrées sans retenue dans le discours spontané, à condition bien sûr qu'une oreille disponibe soit là pour les recueillir. En dehors de la grossesse, ces fantasmes régressifs ou ces souvenirs indicibles de douleur ancienne, voire d'agonie primitive, seraient maintenus secrets. En outre, fantasmes et représentations maternelles prénatales risquent d'acquérir une matérialité avec l'arrivée de l'enfant. Une alliance thérapeutique est alors possible et nécessaire au cours de la grossesse avec le narcissisme maternel. Il suffit parfois, à peu de frais, pour restaurer l'enfant qu'elle porte, de réparer celui qu'elle a été. Cela ouvre sur la question de la prévention et toujours Winnicott : "je pense que la prévention des psychoses est du ressort des pédiatres, si seulement ils le savaient !". On peut ajouter : elle est peut-être aussi du ressort de l'équipe périnatale.

 
 
 
4. Le concept de faux self.

Ce concept avait été formulé avant Winnicott, mais il y apporte du nouveau : le faux self du bébé serait construit comme une défense précoce contre la non reconnaissance de l'authenticité de ses gestes. Les gestes précoces, ou les ensembles sensori-moteurs du nouveau-né, du nourrisson, traduisent l'émergence du vrai self potentiel de ce bébé. La mère suffisamment bonne sera celle qui saura répondre à l'omnipotence de son bébé et lui donner une signification, et ce maintes et maintes fois. A l'opposé, la mère sera non suffisamment bonne lorsqu'elle est inapte à ressentir les besoins réels du bébé et qu'à la place de la prise en compte des mouvements spontanés de celui-ci, elle impose ses gestes à elle qui entraînent la soumission du nourrisson.
En clinique néonatale on rencontre ainsi des dysharmonies d'adaptation au sein et tous les troubles précoces de l'alimentation qui sont de fréquents motifs de consultation. Ces dysharmonies installées et rigidifiées peuvent contribuer à la constitution précoce d'un faux self.
 
 


5. Le concept d'agonie primitive.

Ce concept apparaît dans l'article ultime de Winnicott, article ébauché mais d'une synthèse fulgurante : "La crainte de l'effondrement."
Winnicott parle de ce symptôme, la crainte de l'effondrement, en clinique adulte et conduisant souvent à des demandes de thérapie ; crainte de l'effondrement dans la réalité présente, mais en relation avec des expériences anciennes de la vie de nourrisson, et l'incohérence de son environnement. Par effondrement (breakdown), Winnicott entend des choses impensables qui sous-tendent l'organisation défensive. En effet, à un stade très précoce où le bébé n'a pas encore fait la différence entre Moi et non Moi, peut survenir une angoisse tellement intense que Winnicott la qualifie "d'agonie" (par exemple, l'angoisse de ne pas cesser de tomber dont la défense est alors l'auto-maintien et on pense à ces nouveau-nés hypertoniques, voire adversifs à l'égard de leur mère ; on les remarque bien à la passation de l'épreuve de Brazelton). Ce peut être l'angoisse d'un retour à un état non intégré ou de la perte de la collusion psyché-soma.

Pour Winnicott, la crainte majeure de cet adulte serait celle d'un "breakdown" qui en fait a déjà eu lieu lorsqu'il était nourrisson, de la réapparition d'une expérience agonique ancienne qui a provoqué l'organisation défensive actuelle. Ce risque d'effondrement date d'une époque où le Moi du bébé était trop immature pour rassembler ce qui lui arrivait dans le champ de sa toute puissance. Pour que, devenu adulte, le sujet puisse mettre cette expérience au passé, il doit la faire entrer dans son expérience au présent. Le modèle thérapeutique en est le revécu de cette expérience d'angoisse ancienne dans le transfert de la cure analytique.
Dans le domaine périnatal, il n'est pas rare de se trouver face à des femmes qui craignent de s'effondrer à l'occasion d'une maternité.
- L'effondrement peut être rapporté à la crainte de l'accouchement. C'est là une cause fréquente de consultation en milieu obstétrical : l'idée d'une panique à venir au moment de l'accouchement. Et on observe le va et vient de la femme enceinte entre son état adulte actuel et la réminiscence de son état d'autrefois de dépendance, état initial réanimé par la transparence psychique qui l'affecte. A ce moment de sa vie, la femme, par identification anticipée au bébé qu'elle n'a pas encore, et du fait de l'attente et de la transparence psychique, revit le bébé qu'elle a été et les agonies que celui-ci a éventuellement traversées. Ces agonies peuvent être en relation avec la confrontation ancienne à une détresse maternelle liée à une psychose puerpérale ou à un deuil périnatal par exemple. Le ressort de la peur actuelle (accoucher) est moins l'identification à la mère qu'elle a eue, qu'au bébé qu'elle a été ; bébé en détresse, c'est à dire bébé dont la continuité d'existence a été interrompue par l'empiètement d'un environnement maternel inadéquat.
- En clinique de l'infertilité, la crainte de l'effondrement habite souvent ces femmes qui ont une infertilité incompréhensible et qui finissent par découvrir que la grossesse pour elles, et l'expérience de la maternité, leur font craindre un "breakdown" décisif. Et plutôt la stérilité que cette expérience car au moins la vie continue ! (9).

En conclusion, l'apport de Winnicott est extrêmement précieux car il nous a permis de développer cette idée centrale du retour par la grossesse au revécu de stades très primitifs de l'organisation psychique, ou même antérieurs à cette organisation ; retour possible à des agonies qui ont pu être vécues sans être éprouvées comme telles. La grossesse, comme la cure analytique, par la transparence psychique et la crise du refoulement habituel qui l'accompagnent, peut faire revivre ces stades primitifs de l'organisation. Cette façon de voir a en plus le mérite de conduire à des gestes thérapeutiques simples, mais supposant une empathie particulière qui permette de jouer un rôle de Moi auxiliaire pour ces femmes. Et c'est ce rôle qu'il est important de susciter et d'encourager auprès des équipes soignantes qui s'occupent de femmes enceintes.
 
Références
 
 (1). Winnicott, D.W. (1969). La capacité d'être seul. In : De la pédiatrie à la psychanalyse. Paris,Payot.
(2). Winnicott, D.W (1969). La théorie de la relation parent-nourrisson. In : De la pédiatrie à la psychanalyse. Paris, Payot.
(3). Winnicott, D.W (1969). La préoccupation maternelle primaire. In : De la pédiatrie à la psychanalyse. Paris, Payot.
(4). Winnicott, D.W (1980). Distorsion du moi en fonction du vrai et du faux self. In : Les processus de maturation chez l'enfant. Paris, PB Payot.
(5). Winnicott, D.W. (1975). La crainte de l'effondrement. Nouvelle Revue de Psychanalyse, 11, 35-44.
(6). Freud, S. (1911). Formulations sur les deux principes du fonctionnement psychique.
(7). Main, M., Kaplan, N., Cassidy, J.C. (1985). Security in infancy, childhood and adulthood : A move to the level of representation. In : I.Bretherton & E.Waters (eds), Growing points of attachement theory and research. Monographs of the Society for Research in Child Development 50 (1-2, série N° 209), 66-104.
(8). Bydlowsky, M. (1997). La transparence psychique due à la grossesse. In : M.Bydlowski (ed.), La dette de vie. Itinéraire psychanalytique de la maternité. Paris, PUF, Le fil rouge, 91-100.
(9). Bydlowski, M. (1997). Désir d'enfant et infertilité. In : M.Bydlowski (ed.), La dette de vie. Itinéraire psychanalytique de la maternité. Paris, PUF, Le fil rouge, 135-149.
 
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17 décembre 2006 7 17 /12 /décembre /2006 16:14


Attachement et parentalité par Blaise Pierre Humbert ( 2004 )
Psychologue ; Service Universitaire de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent (Lausanne)

 

On le voit, dans ce domaine sensible, les hypothèses sont fragiles et les notions restent largement spéculatives. Il n’en reste pas moins que l’existence dans la nature d’un certain nombre de réflexes associés à l’établissement de relations précoces, même si ceux-ci ne constituent qu’un aspect du phénomène, témoigne de la présence de composantes innées dans nos comportements, composantes sans doute sculptées par le travail de l’évolution. Toutefois, il est clair que les relations entre parents et enfants n’obéissent pas qu’à des injonctions de cette nature ; une part de nos comportements est associée aux représentations concernant l’enfance et les relations entre adultes et enfants ; celles-ci sont bien conjoncturelles. Sans parler de l’amour maternel lui-même, dont certaines composantes semblent bien être naturelles, il est évident que le discours sur l’amour maternel est bien contingent ; il est lié à notre histoire culturelle, et certainement aussi à l’histoire psychologique particulière de chaque parent. Le parent - plus particulièrement la mère - devient parent sous le regard de l’autre. Pour paraphraser une citation célèbre de Winnicott : « le bébé seul n’existe pas », nous pourrions dire que la mère seule n’existe pas. Ce que la mère ressent à l’égard de son bébé est une chose, mais son idée, sa représentation de l’amour maternel, naîtraient dans le regard de l’autre, du corps social, de l’ancêtre, de la mère de la mère, regards tous posés sur elle.Bibliographie

 

 

 

 John Bowlby, Marie Ainsworth et Marie Main

Les fondateurs de l’attachement


En 1935, Lorenz (1903-1989), entreprend une recherche sur les liens précoces pouvant exister chez les animaux, il élabore ainsi la théorie de l’empreinte. Cette théorie permet de mettre en évidence un lien qui ne se base pas sur la simple satisfaction physiologique.

§         Sécure :le bébé manifeste, par des signes, qu’il ressent le départ de son parent au moment de la séparation et l’accueille chaleureusement quand il le retrouve mais ne focalise pas son attention sur lui et retourne jouer 

§         Insécure-évitant :Le bébé ne montre pas de signe de ressenti par rapport au départ de son parent et quand le parent revient, l’enfant l’évite. Il focalise son attention sur l’environnement et ce de manière persistante.

§         Insécure-résistant : L’enfant est préoccupé par le parent pendant la « Strange situation », il n’arrive pas à se calmer quand le parent revient, son attention est portée sur celui-ci.En 1986, Marie Main et J. Solomon vont ajouter un quatrième type d’attachement à ceux établis par Marie Ainsworth, il s’agit de l’attachement « Désorganisé-désorienté » qui se retrouve quand les parents sont effrayés ou quand ils ont des comportement effrayants avec leur enfant. L’enfant se retrouve alors dans une situation paradoxale, puisque ce qui doit être sécurisant va causer la crainte.

 

 

 

 

Marie Main va élaborer avec Carol George et Nancy Kaplan un questionnaire, le AAI, qui regroupe quinze items concernant l’attachement du parent à ses propres parents quand il était enfant ; par exemple, quelle relation l’enfant avait établie avec ses propres parents. Ce questionnaire permet de mettre en évidence une corrélation entre la catégorie à laquelle appartient le parent et le type d’attachement du bébé.

 

 

Vingt trois ans après cette première découverte, un éthologiste du nom de Harlow démontre, grâce à une expérience sur les singes, que le besoin de contact est essentiel pour le développement et qu’il est indépendant des besoins primaires. Sur la base de ces premiers travaux et en s’appuyant plus particulièrement sur les découvertes de Lorenz, John Bowlby va développer « la théorie de l’attachement ».

 

Cette théorie va à l’encontre de celle de Freud qui stipulait que le recours à la mère s’expliquait par le besoin de nourriture et que la libido avait un rôle tout à fait essentiel pour la satisfaction des besoins vitaux. Pour Bowlby, l’attachement se situe au même niveau que les besoins physiologiques, il est essentiel au bon développement de l’enfant et lui permet d’établir des relations sociales.

 

On ne va pas retrouver chez toutes les mères le même type d’attachement, certains facteurs vont le déterminer ; par exemple, les conduites maternelles, la qualité de l’attachement ou encore les caractéristiques individuelles du bébé.

 

Marie Ainsworth succède à John Bowlby dont elle partage l’idée selon laquelle l’attachement est un besoin primaire. Elle va observer pendant un an des couples mères-bébés au cours des repas et ce pendant les trois premiers mois de la vie du nourrisson. La sensibilité de la mère à son enfant et sa capacité à appréhender ses besoins vont être le centre d’intérêt de la chercheuse. Selon elle, ils permettront de prédire le type d’attachement futur. Un an après ces premières observations, elle revoit les mêmes dyades afin d’évaluer l’attachement des enfants à leur mère.

 

Elle expose ainsi les enfants à huit situations différentes, impliquant des séparations puis des retrouvailles avec leur mère, après avoir été avec un inconnu. Son but était d’évaluer l’attachement du bébé à son parent. Les résultats de son expérience laissent percevoir trois catégories d’attachement :

 

Issu comme Winnicott de la psychanalyse, John Bowlby, le fondateur de la théorie de l’attachement, montre l’importance du lien entre enfant et parent. Son principal message est certainement que le lien n’implique pas un état de dépendance, mais au contraire qu’il peut constituer un facteur d’ouverture, de socialisation. On peut dire alors que l’amour n’est pas un obstacle pour l’autonomie de l’individu ; contrairement à l’école « behavioriste » selon laquelle l’amour risque de renforcer la dépendance de l’enfant, l’empressement à répondre aux demandes de celui-ci risquant de le « gâter », Bowlby montre que l’amour et la réponse aux besoins procure à l’enfant l’assurance nécessaire qui lui permettra ensuite de mieux s’ouvrir au monde extérieur.

En conclusion, il apparaît que l’évolution de la famille occidentale a modifié le type de rapports entre les personnes qui la composent ; l’attachement et l’amour entre générations sont devenus des impératifs de la vie familiale « nucléaire ». Pour l’enfant, la qualité du lien affectif avec les parents est ainsi devenue un facteur essentiel pour son développement psychologique, ce qu’elle n’était peut-être pas auparavant. Pour les parents, l’amour porté à l’enfant, déjà au niveau du désir d’enfant, est aussi devenu un impératif. Pour le couple enfin, l’amour est dorénavant une dimension nécessaire, impérative, non contingente. Lorsque les liens affectifs deviennent impératifs et nécessaires, ne risquent-ils pas de devenir enfermants ?

La théorie montre que l’attachement, qu’il soit amoureux, filial ou parental, peut représenter une base de sécurité, promouvoir l’ouverture, tout comme il peut aussi devenir enfermement, dépendance.

Ainsi, l’attachement comme l’amour peuvent servir l’immobilisme comme le changement.

 

[1] ARIES, P., (1960, rééd. 1973), L’enfant et la vie familiale sous l’ancien régime, Paris, Seuil. [2] BADINTER, E., (1980), L’amour en plus, Paris, Flammarion. [3] CARTER, C.S. & Getz, L.L., (1993), Monogamy and the prairie vole, Scientific American, June 1993, 70-76. [4] DELAISI DE PARSEVAL, G. & Lallemand, S., (1998), L’art d’accommoder les bébés, Paris, Ed. Odile Jacob. [5] LAFLAQUIERE, A., (1990), L’enfance paradigmatique, Psychiatrie de l’enfant, 2, 365-389. [6] MOREL, M.-F., (1997), Enfances d’hier, approche historique, in : M. Guidetti, S. Lallemand & M.-F. Morel, Enfances d’ailleurs, d’hier et d’aujourd’hui, Paris, Armand Colin, 58-112. [7] PIERRE HUMBERT, B., (2003), Le premier lien : Théorie de l’attachement, Paris, O. Jacob. [8] ROUSSEL. L., (1989), La famille incertaine, Paris, O. Jacob. [9] VACQUIN, M., (1990), Le face-à-face de la science et du sexuel, in : J.Testart (Ed.), Le magasin des enfants, Paris, Ed. F. Bourin. [10] WINNICOTT, D.W., (1957, trad. 1989), De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Payot.

 

http://www.lplm.info/spip/spip.php?article348

 

 


L’absence de souvenirs de notre petite enfance -l’amnésie infantile- nous amène à nous interroger sur la nature de nos premiers liens, sur leur signification quant à notre vie relationnelle d’adulte, nos émotions, nos pensées, nos peurs, nos désirs, en bref notre monde intérieur. Il faut reconnaître que cette amnésie infantile, justement, autorise les dérives les plus fantaisistes sur la signification et les implications des premiers liens. L’enjeu de la question est en effet important : comment se forme notre vie mentale, notre identité : de nos expériences ? De notre patrimoine biologique ? Quelle est la part de la nature et celle de la culture ?

 

Les représentations que l’on a de l’enfant ont évolué au cours de l’histoire et indubitablement celles-ci ont influencé nos conceptions quant à l’importance du jeune âge sur la formation de la personne adulte, et de là nos pratiques de soins ou encore nos valeurs éducatives.

 

Sur ces questions, la théorie de l’attachement propose sa propre version des faits. Or, une théorie, fut-elle scientifique -comme se voudrait être la théorie de l’attachement- n’échappe pas aux courants idéologiques de son époque.

 

Rappelons que deux conceptions sur la nature de l’enfance se sont fortement opposées au cours de l’histoire occidentale, conceptions qui reflètent des positions manichéennes : l’enfant est alternativement perçu comme étant, par nature, le siège du bien ou du mal.

 

Ainsi, les Pères de l’Eglise recommandaient la plus grande sévérité à l’égard des enfants. Saint Augustin disait, dans la Cité de Dieu : « Si on laissait l’instinct l’emporter chez l’enfant, il deviendrait à coup sûr un grand criminel ». Plus tard, au XVIIe siècle, comme l’évoque l’historienne Marie-France Morel ([6], 1997), le Cardinal de Bérulle décrit l’enfance comme « l’état le plus vil et le plus abject de la nature humaine après celui de la mort ». Toutefois, souligne l’auteur, il ne faut pas croire que cette conception fût partagée par la majorité ; ces déclarations sont le fait de théologiens sans enfants, et elles émanent d’un milieu rigoriste. Dans les mêmes temps des pédagogues humanistes, dans la tradition d’Erasme, voient dans l’enfant une image de la perfection divine. L’enfant serait ainsi doué d’une nature vile ou innocente, selon la référence idéologique ; nature que l’éducation, en conséquence, cherchera à corriger, respectivement à préserver.

 

Qu’en est-il alors de la question des relations d’attachement ? Nous allons le voir, le discours se déplace ici sur un niveau scientifique. Mais est-ce une garantie contre toute forme d’emprise idéologique ? Le passage obligé est le célèbre prix Nobel Konrad Lorenz dont la grande découverte est que, chez les animaux, les comportements sociaux seraient à la fois innés et appris. Chacun a en mémoire sa fameuse expérience sur les oies cendrées qui, à peine écloses, poursuivent l’objet mobile qu’on leur présente, en lieu et place de leur mère. En fait, le comportement lui-même l’empreinte, ou la réaction de poursuite par le jeune oiseau est un comportement réflexe, mais l’objet sur lequel ce comportement s’applique la mère ou un substitut est acquis par l’expérience. Pour se rapprocher quelque peu des humains, mentionnons les non moins célèbres observations de Harry F. Harlow qui, après avoir séparé fortuitement des jeunes singes rhésus de leur mère quelques heures après leur naissance, avait observé que ceux-ci faisaient une sorte de fixation sur des objets laissés dans leurs cages, tels que couvertures ou autres chiffons ; ils protestaient si on les leur enlevait. Expérimentaliste dans l’âme, Harlow répète alors l’expérience en plaçant dans la cage un substitut maternel, sorte de mannequin imitant grossièrement un singe adulte. Même si ce substitut est profondément inadéquat dans ses comportements maternants -pour le moins figés- il est bien l’objet d’une recherche de proximité physique. A tel point que lorsque l’on ouvre la cage, le jeune singe commence par se réfugier auprès de cet objet puis, lorsque sa crainte s’atténue, il va se mettre à explorer l’environnement.

 

On observerait donc chez le jeune un besoin inné de contact avec un objet jouant un rôle parental. Il faut bien entendu se garder de toute tentation de généralisation de l’animal à l’homme ; il se trouve par exemple que chez les animaux eux-mêmes, on ne peut généraliser d’une espèce à l’autre. Ce qui est vrai pour les oies cendrées ou pour les rhésus ne l’est pas forcément pour d’autres espèces d’oiseaux ou de singes. Il n’en reste pas moins, en ce qui concerne le bébé humain, que certaines observations faites au milieu du siècle passé dans des orphelinats, rejoignent les conclusions des études de Lorenz et de Harlow. Notamment au niveau des effets d’une « carence maternelle ». Les plus connues de ces observations sont certainement celles de René Spitz ; ses travaux suggèrent que si l’enfant peut souffrir de carence alimentaire, il peut également souffrir de carence affective. La découverte de l’importance des relations dans le plus jeune âge va ainsi provenir de l’observation de situations de manque et de ruptures dans la petite enfance.

 

Pour Spitz, l’enfant développe une véritable relation d’amour dans le courant de sa première année de vie, et la rupture de celle-ci serait dévastatrice pour sa santé mentale. Ces observations constituent autant d’arguments scientifiques en faveur de l’idée d’un besoin « naturel » de proximité, voire d’attachement. Mais laissons là pour l’instant le point de vue de l’enfant pour prendre celui de l’adulte. Qu’en est-il en effet de l’amour maternel -ou plus généralement l’amour « parental » ? Peut-on envisager une sorte d’« instinct » (maternel ou parental) ? La tendresse d’un père et d’une mère pour leur bébé est-elle universelle, est-elle propre à notre nature humaine ? La sensibilité que nous éprouvons envers l’enfant constitue-t-elle une réalité « nécessaire », immuable ou au contraire « relative », changeante, produit d’une culture et d’une époque ; en d’autres termes, s’agit-il d’une réalité « contingente » pour emprunter le terme à Elisabeth Badinter ([2], 1980) ? L’amour maternel ne représente-t-il qu’un « plus » comme le titre son ouvrage ?

 

D’un côté, on ne peut nier l’existence d’une certaine « préoccupation maternelle » (pour prendre le terme de Winnicott, ([10], 1957)), sous la forme d’une vigilance émotionnelle et d’une disponibilité particulière de la mère à l’égard de son bébé dès la naissance. Celle-ci serait essentielle dans les premiers temps de la vie du petit humain, particulièrement dépendant, car elle permettrait à la mère de sentir et d’anticiper les besoins du bébé, condition essentielle pour l’établissement d’une relation de soins. Les études sur les animaux, de nouveau, montrent clairement l’existence d’un état particulier de réceptivité de la mère à l’égard du nouveau-né (on parle à ce propos de « bonding »). Les études de C.S. Carter ([3], 1993) ont précisé les mécanismes physiologiques associés à cette condition, chez les brebis par exemple.

 

Les arguments en faveur d’une base « naturelle » des comportements, en l’occurrence des comportements de maternage, à nouveau ne manquent pas. Mais comme toujours, les choses ne sont certainement pas aussi simples et idylliques. Considérons les mythes fondateurs de la civilisation ; ceux-ci foisonnent d’exemples concernant la précarité des liens entre parents et enfants. Le plus paradigmatique bien sûr est Moïse, mais il ne faut pas oublier Sargon d’Agade, Oedipe, Pâris, Persée, qui tous sont des survivants d’une forme de maltraitance parentale, explicable ou non. Nous devons nous demander si ces mythes pouvaient avoir comme fondement l’existence d’une ambivalence (pourquoi pas tout autant « naturelle ») associée à l’état de parent. Dans la nature, les liens de parentalité ne seraient finalement peut-être pas si évidents.

 

la célébration moderne de la maternité ne serait-elle pas alors l’expression d’une forme de défense contre une impulsion toujours possible d’abandon voire d’agression contre le jeune ? Est-ce alors que l’« amour maternel » serait, sinon une invention récente, du moins un système de valeurs récent, comme le suggère Elisabeth Badinter ? Philippe Ariès ([1], 1960) avait énoncé l’idée selon laquelle nos ancêtres du Moyen Age ne connaissaient pas un « sentiment de l’enfance » comme on le connaît aujourd’hui ; ils auraient manqué de conscience de la particularité enfantine (ce qui ne veut pas dire qu’ils auraient manqué d’affection pour l’enfant, comme le précise l’auteur suite aux critiques que sa thèse avait occasionnées).

 

On connaît à ce propos la fameuse mode -vers la fin de l’Ancien Régime, en France- du placement quasi généralisé des bébés en « nourrices mercenaires ». Ces dernières provenaient généralement de familles rurales pauvres, ou appartenaient en tout cas à une classe sociale moins favorisée que celle des parents des bébés qu’elles nourrissaient. Dans certains cas, ces femmes ne pouvaient nourrir elles-mêmes leurs propres enfants ; l’abandon constituait alors souvent leur seul recours. En créant des hospices pour enfants abandonnés et en installant des « tours d’abandon » dans les murs des couvents, les pouvoirs publics et les Eglises étaient-ils complices de ces pratiques ? Il y a sans doute à ce niveau une ambiguïté dans le rôle des institutions, laïques ou religieuses. Ironiquement, le tour d’abandon fait actuellement sa réapparition dans les villes occidentales -il est familièrement dénommé « boîte à bébés » ; on ne peut donc plus prétendre qu’il représente l’émanation d’une pratique barbare issue de l’Ancien Régime. Certes, il est le reflet de la paupérisation d’une tranche de la société reléguée par la nouvelle économie, ainsi que de la misère engendrée par les mouvements migratoires, toutefois ceci ne laisse aucun doute sur le fait que maintenant comme par le passé persiste un double discours sur l’amour maternel, alimenté par des intérêts idéologiques ou économiques.

 

Sans nécessairement conclure sur la question de savoir si l’affection des adultes envers les enfants est naturelle ou historiquement déterminée, il est indéniable que les représentations relatives à l’enfance ainsi qu’aux relations entre adultes et enfants ont subi des transformations au cours de l’histoire. Geneviève Delaisi de Parseval et Suzanne Lallemand ([4], 1998) résument avec humour l’évolution des représentations du bébé de la manière suivante : de l’« encombrant nourrisson » de l’Ancien Régime, on est passé successivement au « charmant bébé » rousseauiste, au bébé destiné à repeupler les pays et les armées en guerre, au bébé « qu’il faut dresser » (le bébé de la puériculture et de l’apogée du discours médical sur la maternité, au milieu du XXe siècle), au « merveilleux bébé » et sa « divine maman », au « bébé prophète », lorsque ce n’est pas au « foetus prophète » (et de ses parents-disciples) de la fin du XXe siècle.

 

Dans la société moderne, où l’enfance a été hissée sur un piédestal et la maternité glorifiée, on peut se questionner sur les excès de ce qui peut apparaître comme une idéalisation, une « valorisation sacralisante » pour reprendre la formulation d’Alain Laflaquière ([5], 1990). Les scientifiques, et plus particulièrement les psychologues, dit Laflaquière, se seraient emparés de l’enfance pour la mettre au service d’un mythe scientifique, celui de la maîtrise des origines ; pour les moralistes, il ne s’agirait même plus d’aimer l’enfant, mais de montrer que l’on « aime l’aimer » ; s’occuper de l’enfance étant désormais placé sous le sceau d’une morale absolue ; enfin, les esthètes l’auraient confisquée pour en faire un culte à la jeunesse, à la beauté et au dynamisme, reflété dans la publicité ou encore dans les discours ampoulés, kitsch, relatifs à l’enfance. En d’autres termes, « l’enfance c’est logique, c’est moral et c’est beau », termine Laflaquière ([5], 1990).

 

Quoiqu’il en soit, cette valorisation extravagante du bébé nous amène à souligner les tensions qui peuvent s’installer entre les représentations et la réalité quotidienne des parents. Le contexte actuel est certainement plus délicat qu’il n’y paraît pour les jeunes mères ; d’un côté on encense leur fonction, mais simultanément les soins au bébé restent peu valorisés socialement ; on ne parle pas ici de la vision idéalisée des soins, mais bien de la disponibilité, de l’énergie, du temps effectif consacré aux soins, qui se heurtent aux contraintes économiques, aux exigences de la carrière professionnelle et, malgré une vague d’espoir éphémère suscitée dans la seconde moitié du XXe siècle, au flagrant déficit d’appui effectif de la part des pères.

 

La seconde moitié du XXe siècle a connu un nombre impressionnant d’innovations ayant entraîné une transformation profonde de nos représentations concernant l’enfance et les rapports des adultes avec les enfants ; parmi ceux-ci, relevons la maîtrise presque parfaite de la conception -du moins dans les pays fortement industrialisés ; la « nucléarisation » de la famille dans les sociétés occidentales, l’enfant acquérrant un statut central, devenant souvent l’unique source affective des parents ; la découverte de compétences de plus en plus précoces chez le bébé, le nouveau-né et désormais le foetus lui-même ; enfin, l’avènement de différentes formes de sécurité sociale impliquant le fait que les relations entre générations ne soient plus (uniquement) établies sur un rapport de dépendance économique -des enfants aux parents puis des parents aux enfants. Ces transformations ont toutes contribué à modifier le type de rapports entre les personnes qui composent la famille ; d’économique, le ciment de la famille est devenu affectif. L’attachement et l’amour sont devenus des composantes plus importantes de la vie familiale moderne qu’ils ne l’étaient auparavant. Le pouvoir, ainsi que la responsabilité désormais individualisée de la femme et de l’homme moderne sur le contrôle de la conception a certainement engendré des modifications dans nos représentations liées à l’enfance, à la parentalité ainsi qu’à la nature de l’affection portée à l’enfant. En effet, dans la société occidentale moderne, il est désormais devenu indispensable pour la femme et l’homme de « faire parler en eux » le désir d’enfant, en d’autres termes de construire une représentation de ce désir. Celui-ci, jusque-là, pouvait être présent, mais il n’avait pas force de nécessité. Il est maintenant devenu impératif de proclamer son désir d’enfant et son amour pour l’enfant. Cette proclamation constitue dorénavant un pré-requis indispensable à la parentalité.

 

Cette proclamation, devenue nécessaire et déclinée sur un mode individualisé, pourrait bien ressembler au fameux « sentiment de l’enfance ». Du moins, son incidence particulière durant la seconde moitié du vingtième siècle aura certainement pu faire croire -pourquoi pas à Philippe Ariès lui-même- à un phénomène historiquement nouveau. L’enjeu de la question, nous le pensons, n’est pas tant de savoir si nos ancêtres avaient ou non un « sentiment de l’enfance », mais plutôt que l’amour maternel constitue désormais un impératif social, peu importe que son origine soit naturelle ou culturelle.

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21 août 2006 1 21 /08 /août /2006 19:00

 

Derrière la violence que chacun s’accorde à identifier et à condamner s’en cache une autre que l’on commence tout juste à reconnaître. Dans un ouvrage récemment paru chez Jouvence, Olivier Clerc présente les violences du Tigre et de l’Araignée, et la danse macabre dans laquelle elles alternent.

Omniprésente violence. Famille, école, entreprise, politique, économie,… : aucun domaine d’activité humaine ne semble épargné par le phénomène. Après des années de lutte contre la violence sur tous les fronts, il est même permis de se demander si cette lutte est vraiment efficace, au regard du bilan des guerres et conflits du 20e siècle, pour ne rien dire de celui qui vient à peine de commencer.

Depuis peu, on identifie même de nouvelles formes de violence. Ainsi en va-t-il du harcèlement moral – qui fait désormais l’objet d’une loi -, du bizutage (lui aussi légiféré depuis 1998), ou encore de la manipulation. En réalité ces violences-là ne sont pas nouvelles : n’est récente que leur identification comme phénomènes violents, fussent-ils de nature différente. Y aurait-il donc plusieurs violences ?

En réalité, je me suis attaché à montrer dans un récent ouvrage qu’on ne peut bien comprendre la violence qu’en en distinguant les deux polarités opposées et complémentaires qui la composent ainsi que la dynamique qui les caractérise. Seule cette distinction permet de comprendre à la fois la récurrence chronique de la violence et l’échec des moyens de lutte mis en œuvre jusqu’ici.

La violence, comme toute chose en ce monde, est double, polarisée : elle possède à la fois un pôle “masculin” ou yang - pour éviter de l’attribuer aux seuls hommes -, et un pôle “féminin” ou yin, qui n’est pas davantage réservé aux femmes. La violence yang, que j’appelle violence du Tigre, a long été la seule identifiée et, aujourd’hui encore, représente plus de 90% de ce que nous identifions comme “violence”. Ses manifestations vont de l’insulte à la bombe atomique, en passant par les coups (de poing, pied, couteau, fusil, canon), les explosifs, etc. Elle s’apparente souvent à la décharge brutale d’une énergie contenue. Elle est active, chaude, tranchante, pénétrante, percussive, brutale, rapide, dilatante, centrifuge, impulsive. Evidente et manifeste, en tous les cas.

L’autre polarité de la violence, la violence yin, que je nomme violence de l’Araignée, est de toute autre nature. Le Tigre est chaud, rapide, démonstratif, puissant ; l’Araignée est froide, dévore sa proie à petit feu, lentement, elle est calculatrice, rusée. La violence de l’Araignée s’exerce dans la durée, progressivement. Elle souvent cachée, indirecte, insidieuse, trompeuse. Un élément de duplicité, de tricherie ou de séduction la caractérise fréquemment. Elle est contraignante, inhibante, collante, paralysante, implosive, centripète, statique, à effet lent et cumulatif, réfléchie (ou inconsciente). Seules quelques unes de ses manifestations sont désormais reconnues, nous l’avons dit plus haut : le harcèlement moral, la manipulation, le chantage, le bizutage, le piratage informatique. Mais en réalité, ses formes sont autrement plus nombreuses et plus répandues, du fait justement qu’elles ne sont pas reconnues pour ce qu’elles sont : violentes, mais dans la polarité opposée à celle très familière du Tigre.

Sa forme la plus anodine ? Le mensonge. Viennent ensuite la rumeur, la calomnie, la médisance qui tissent de personne en personne, chacun y ajoutant un peu de son affect, une toile dont la victime ne parvient souvent pas à se défaire, dans l’impossibilité de lutter contre un ennemi clairement identifié. Ces pratiques d’apparence inoffensive, parce que c’est la répétition et l’addition des propos de chacun qui confèrent à ces phénomènes leur capacité destructrice, ont mis par terre des réputations, anéantit des personnes et des entreprises, ruiné des projets. L’Araignée, c’est aussi le poison, les armes bactériologiques et chimiques, les pollutions lentes et cachées, les rayonnements radioactifs, les odeurs nauséabondes, certaines formes de grève, certaines pratiques boursières et financières, ou encore l’usage de neuroleptiques en psychiatrie. C’est, de façon plus générale, tout ce qui étouffe, emprisonne, vampirise, prive de liberté. Y compris sous les formes les plus “dorées”, comme on dit de certaines prisons. L’affection étouffante d’une mère qui surprotège ses enfants, par exemple, est arachnéenne. De même, la loi le devient elle aussi quand le maillage législatif se resserre tellement, au nom de la protection de l’individu, qu’il réduit l’espace de liberté de chacun comme peau de chagrin. Les idéologies, qu’elles soient religieuses ou politiques, peuvent également s’avérer arachnéennes, sans que telles soient nécessairement leur intention : l’individu peut en effet étouffer sous l’emprise de règles morales trop rigides ou sous le poids de la culpabilité, il peut être littéralement paralysé, pris au piège d’un filet d’injonctions et de règles qui ne lui laissent plus aucune liberté. Le succès actuel d’ouvrages appelant les lecteurs à ne plus être “gentils” mais vrais, authentiques, sincères, à exprimer leurs émotions plutôt qu’à les étouffer sous un masque de fausse amabilité, témoigne précisément d’un désir croissant de se libérer d’une forme de totalitarisme de la paix , mis en place avec les meilleurs intentions du monde.

Que constate-t-on, en effet ? Sous prétexte de lutter contre la violence du Tigre, celle que chacun s’accorde à identifier et à condamner, politiques et religions y sont allées les unes comme les autres de lois, règles et commandements visant à étouffer ou à contenir cette violence, à l’empêcher d’apparaître ou de se manifester. L’intention était certes louable, mais l’ignorance de l’autre polarité de la violence, et donc son absence de prise en compte, ont eu pour conséquence que les moyens mis en œuvre jusqu’ici pour lutter contre cette violence sont en réalité eux-mêmes violents, mais dans l’autre polarité de la violence, cette fois. Autrement dit, on a utilisé l’Araignée pour piéger le Tigre, pour l’immobiliser, le paralyser, l’étouffer, de même que les chasseurs de ce fauve utilisent parfois un filet accroché à une branche et dissimulé sous des feuilles, avec un appât bien en vue, pour capturer la bête.

Que se passe-t-il ensuite ? Comme la poudre comprimée dans la douille, comme l’eau qui s’accumule derrière un barrage ou la charge électromagnétique dans un nuage, ces dispositifs – tout en donnant l’impression de fonctionner à court terme – vont en réalité favoriser la création d’une nouvelle tension, d’une nouvelle charge, et donc à long terme une nouvelle décharge, c’est-à-dire un passage à l’acte souvent plus violent que le précédent. L’histoire alterne ainsi depuis de siècles entre violence ouverte, manifeste (le Tigre) et violence cachée, indirecte (l’Araignée), entre violence explosive et violence contraignante, entre décharge brutale qui dévaste tout sur son passage et étouffement à petit feu, paralysie, immobilisme mortifère. La violence suit ainsi un cycle infernal, pareille à la course du soleil, dont une seule moitié nous est clairement visible, mais dont le retour est inéluctable.

L’une des choses que l’approche bipolaire de la violence enseigne, précisément, est la dynamique qui caractérise les deux pôles de la violence. L’un de ses aspects les plus importants est la façon dont la violence de l’Araignée, par la tension qu’elle crée, favorise l’émergence d’un Tigre et, conjointement, la façon dont les débordements de certains Tigres susciteront la mise en place d’un maillage plus subtil, plus séducteur, pour tenter de les piéger et de les contenir. La classification des actes de violence en yin ou yang n’aurait aucun intérêt pratique si elle ne permettait justement de comprendre, derrière ses manifestations superficielles, les causes profondes et durables de la violence. Cette compréhension ouvre ensuite la porte à de nouvelles stratégies face aux diverses violences. Soulignant d’abord le caractère vain de la “lutte contre la violence”, qui ne fait qu’alterner phase visible et phase cachée, dans un crescendo dévastateur, elle propose plutôt de transformer la violence, chaque fois que c’est possible.

Sans entrer ici dans le détail, la violence du Tigre étant la décharge brutale d’une tension excessive, diverses approches, comme la CNV , visent à permettre une lente mise à terre de cet excès d’énergie, potentiellement destructeur. Ces approches donnent d’ailleurs des résultats remarquables, mis à l’épreuve dans les situations les plus difficiles qui soient. Mais, de même qu’un gilet pare-balles protège d’un coup de revolver mais pas d’émanations radioactives, la violence de l’Araignée nécessite pour sa part une tout autre approche. Moins identifiée et moins bien connue que la violence du Tigre, cette polarité yin de la violence n’a pas encore vu naître autant d’outils pour y faire face. On peut cependant mettre en évidence quelques grands principes. Violence de l’obscurité, du froid, de l’immobilisme, on peut justement lui opposer la lumière, la chaleur, le mouvement.

Mettre en lumière les agissements d’un personnage arachnéen, en les révélant au grand jour, permet d’éviter que s’ourdissent de sinistres plans dans l’ombre. La lumière des médias, aussi, a pu mettre à jour des violences arachnéennes, comme la pédophilie, par exemple, dont les réseaux œuvraient dans l’ombre. La lumière, c’est encore la connaissance, le savoir qui permet de ne pas se faire manipuler, arnaquer, tromper, leurrer. Ensuite, la chaleur, symboliquement, c’est le cœur, les liens, les relations humaines. Dans le harcèlement moral, le pervers est souvent décrit comme ayant une attitude glaciale, sans cœur. Ne pas se laisser isoler, ne pas se refroidir dans son coin, et – pour contrer l’immobilisme qui tente de s’imposer – bouger, voir des gens, au besoin fuir : ce sont là des caractéristiques que l’on retrouve dans les stratégies proposées par les professionnels qui s’occupent de ces formes reconnues de violences de l’Araignée.

La compréhension de la nature bipolaire de la violence nous oblige donc à reconsidérer complètement notre idée de la violence (des violences, plus exactement) et les moyens qui nous semblent opportuns de mettre en place, à quelque échelle que ce soit. Elle nous contraint notamment à reconnaître que la “lutte contre la violence”, si elle est parfois indispensable pour faire face à l’urgence, ne permettra jamais de venir à bout de la violence et d’instaurer une paix durable : la paix qu’elle procure n’est que cette paix mortifère que célébraient par exemple les pays de l’Est autrefois, dans lesquels la machine bureaucratique et étatique arachnéenne empêchait provisoirement tout débordement du Tigre, mais aussi toute créativité, toute vie.

La paix ne se conquiert – durablement, s’entend – ni par la force ni par la contrainte. Elle ne peut qu’être le fruit de l’éducation, et notamment d’une éducation à la relation, c’est-à-dire à l’intelligence du cœur, à l’humain. Tant le Tigre que l’Araignée se caractérisent par la négation de l’autre, l’incapacité à l’entendre, à le comprendre, l’absence de dialogue, d’échange véritable. Une charge ne peut se créer qu’entre deux pôles séparés : une tension ne peut apparaître qu’entre personnes ou organismes qui ne communiquent pas, au sens profond du terme. Or le plus grand et plus constant facteur de séparation entre les hommes est la peur, qui va de pair avec l’ignorance et la méconnaissance. A long terme, donc, seule l’éducation – une éducation, redisons-le, aux relations humaines, à l’autre, à la gestion des conflits, au vivre ensemble - peut nous permettre de prendre le chemin de la non-violence et de la paix. Cela prendra du temps, c’est évident. L’évolution, en la matière, sera déterminée par le temps que nous mettrons à devenir conscients de la nature et de la dynamique de la violence à deux pôles, et à inventer de nouvelles façons d’utiliser et de transformer les énergies conflictuelles en force de création, d’innovation et de changement, plutôt qu’en facteurs destructeurs ou paralysants.

Olivier Clerc   http://www.olivierclerc.com/welcome/index.php?accueil=1

 

 

 

A lire également, le passionnant ouvrage "La grenouille qui ne savait pas… qu'elle était cuite", O. Clerc, Editions JC Lattès, nov. 2005.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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21 août 2006 1 21 /08 /août /2006 18:58

 

 

 

ŒDIPE, par Guy MASSAT

 

 

 

 

 

L’Œdipe est un mythe, un mouvement éternel qui n’a jamais eu lieu nulle part et qui se manifeste en chacun de nous d’une manière à chaque fois différente. Dans le conscient l’Œdipe ne présente guère d’intérêt. En effet, quiconque dans son introspection consciente la plus rigoureuse peut témoigner qu’il n’a jamais voulu « tuer son père ni épouser sa mère » au sens propre. « Tuer son père et épouser sa mère » ne se réfère pas à la réalité consciente mais à l’inconscient. Il n’y a ni mère ni père dans l’inconscient.

 

 

Mais alors qu’est ce que la Loi de l’interdit de l’inceste ?

 

S’agit-il de l’article 161 de notre code civil  selon lequel :

 

« Le mariage est prohibé entre tous les ascendants et descendants légitimes ou naturels. Ou l’article 162 : « Le mariage est prohibé entre le frère et la sœur légitimes ou naturels » ou le 163 : « Le mariage est prohibés entre l’oncle et la nièce, la tante et le neveu, que la parenté soit légitime ou naturelle ». Evidemment pas.

 

Comme vous pouvez le remarquer dans notre code civil ce qui est interdit c’est le mariage et non pas l’inceste. En fait, en France, comme en Espagne et au Portugal l’inceste n’est pas une infraction . Ce qui est puni par la loi c’est la violence faite à un mineur aggravée s’il s’agit d’un parent. Mais l’inceste entre adultes consentants n’est pas interdit. Chez les pharaons on pouvait épouser sa sœur et pas seulement avoir des relations avec elle. Les lois changent selon les circonstances. Il y a aujourd’hui des pays qui autorisent le mariage homosexuel etc…

 

Alors qu’est-ce que la loi de l’interdiction de l’inceste en psychanalyse, si ce n’est pas une loi sociale ? Est-ce un impératif, un commandement que l’esprit se donne à lui-même ?

 

 

L’étymologie du nom d’Œdipe est au moins double. C’est à la fois l’enflure (oe, comme œdème, et pous, pied), donc, « pieds enflés ». Sachant que les pieds sont ce qui permet de marcher, ils figurent le désir puisque nous ne marchons qu’au désir. « Pieds enflés », donc par le désir inconscient. D’autre part, l’étymologie nous donne aussi Oîda ( le savoir) et dispous (bipède), le bipède qui sait. Le savoir est de l’ordre du conscient, le conscient a conscience d’être conscient, « Savoir c’est toujours savoir qu’on sait », comme disait Alain. Œdipe donc est « le bipède qui sait », qui sait dans le conscient.

 

 

Le père d’Œdipe est Laïos, qui est l’arrière petit-fils de Cadmos. Le nom de Laïos a donné laïus, mot désignant un discours aussi interminable que l’histoire d’Œdipe puisqu’elle se continue en chacun être humain. Laïos fut d’abord chassé du pouvoir mais à la mort de ses suppléants il fut rappelé sur le trône par les Thébains. Son désir fut alors de rétablir la royauté héréditaire de Cadmos, alors que chez les Grecs le roi était choisi pour ses mérites et non pour sa naissance. Ainsi un oracle apprit que si Laïos avait un fils celui-ci le tuerait. Laïos épousa Jocaste fille du Thébain Ménoecée. Pour éviter la malédiction de l’oracle le couple avaient des rapports sodomistes. Mais un jour, après un banquet, ils eurent des rapports normaux dont la conséquence fut la naissance d’Œdipe.

 

Que faire de ce garçon ? Le tuer ? Ce serait aller contre son désir d’avoir un fils qui lui succèderait et poursuivrait la lignée de Cadmos et des labdacides. Le garder ? Ce serait enfreindre directement l’avertissement de l’oracle. Laïos choisit alors d’abandonner son fils dans les bois les pieds liés. Liés symboliquement à son désir de roi et à la destinée de son enfant. On verra ainsi, si le désir d’un père peut ou non triompher des oracles de l’inconscient.

 

Les bêtes sauvages épargnèrent Œdipe.

 

Il fut trouvé dans la forêt par un berger qui l’amena au roi de Corinthe Polybos qui le recueillit et l’éleva. Mais un jour, à son adolescence, un ivrogne dit à Œdipe qu’il n’était pas le fils du roi de Corinthe. Œdipe se mit alors à douter si fort de lui-même qu’il décida d’aller à Delphes interroger l’oracle sur sa véritable identité. A sa question :«  Qui suis-je ? » l’oracle ne répondit pas sur le plan du conscient, tu es le fils de Jocaste et de Laïos, mais sur le plan de l’inconscient : «  tu es ton propre désir, c’est-à-dire tu tueras ton père et épousera ta mère ». Horrifié, (et qui ne le serait pas ?) Œdipe décida de ne pas retourner à Corinthe. Il pensait ainsi éviter son destin persuadé que Polybe et la reine Péribée étaient bien ses parents.

 

Comme son père Laïos il se refusait à la voix de l’inconscient. Donc il se dirigea à l’opposé de Corinthe. Vous vous souvenez que le nom d’Oedipe peut signifier à la fois «  Pieds enflés », c’est-à-dire gonflés de désir, puisque les pieds comme le désir sont ce par quoi nous agissons. Et aussi oïda, (je sais) et dipous (bipède), « le bipède qui sait ». Il sait dans le conscient mais il désire autrement dans l’inconscient.

 

Dans sa fuite farouche à échapper à son destin Œdipe arriva un jour à une bifurcation de routes. Certains parlent d’un triple chemin : une voie venait de Thèbes, l’autre d’Athènes et la troisième de Delphes. Là un char lui interdisait le passage. S’ensuivit une querelle au cours de laquelle Œdipe tua tous les passagers du char à l’exception d’un serviteur qui réussit à s’enfuir. Oedipe venait là d’accomplir le premier temps de la prophétie. Le chef de l’attelage n’étant autre que Laïos, son père qui se rendait à Delphes.

 

Œdipe continua son errance puis ses pas le conduisirent aux environs de Thèbes. Là la région était terrorisée par un sphinx, monstre féminin à la tête de femme, au corps de lion, et pourvu d’ailes comme un oiseau de proie. Le sphinx posait des questions à ceux qu’il rencontrait et s’ils n’avaient pas la bonne réponse il les dévorait. Ce monstre avait été envoyé par Héra, le femme de Zeus, pour punir Laïos de ses transgressions, et c’est donc en allant à Delphes pour savoir comment ce débarrasser du Sphinx que Laïos fut tué par Œdipe.

 

Œdipe rencontra la sphinge qui lui posa l’énigme suivante ! « Quel est l’animal qui a quatre pattes le matin, deux à midi et trois le soir venu ? » Œdipe répondit que c’était l’homme, puisque quand il est bébé l’homme marche à quatre pattes, puis sur deux pieds quand il est adulte et enfin quand il est vieux il avance sur trois pattes car ses pas sont soutenus par une canne. On sait que les sphinx ne peuvent mourir que si l’on répond à leur question. Le sphinx étant la métaphore de la question. Si l’on vous demande combien font deux et deux, la question ne vous dévorera pas, elle est pour ainsi dire inexistante. Mais il y a d’autres questions qui peuvent vous empêcher de dormir et pour ainsi dire vous dévorer comme la sphinge de Thèbes. Néanmoins, la réponse d’Œdipe suffit pour que le sphinx puisse choisir la mort. Nous remarquerons qu’il ne s’agit pas d’une réponse très profonde, on croirait à une devinette pour enfant. C’est qu’on peut répondre juste sans connaître la véritable dimension de notre réponse. C’est le cas de tous les jeunes gens qui passent des examens. A vingt ans on peut passer, par exemple, son agrégation de philosophie, on connaît plus ou moins tout ce qu’on dit les grands penseurs de l’histoire et ça suffit à nos examinateurs qui n’en demandent pas plus. Pourtant ce n’est qu’avec la maturité qu’on abordera vraiment à ce que disent en profondeur les philosophes. La réponse d’Œdipe est du même ordre. En surface c’est une devinette, en profondeur elle traduit l’évolution psychique de l’être humain : quatre, deux, trois. L’être humain se confond d’abord avec ce qu’il perçoit, il se compte dans le compte, il s’ajoute au triangle familial, alors qu’il devrait s’en soustraire, adulte il accède à la logique binaire du conscient, puis avec la sagesse il sait compter jusqu’à trois, parce qu’il sait introduire dans sa pensée, la scytale, le bâton dont on se servait pour la transmission des messages dans l’Antiquité et qui marque la dimension de l’inconscient.

 

En tout cas, les Thébains font fête au vainqueur du sphinx et lui proposent, puisqu’il est si intelligent d’être leur roi. Il lui suffit pour cela d’épouser leur reine Jocaste dont l’époux a disparu. Mais Jocaste est de caste royale tandis qu’Œdipe, comme son nom l’indique, n’est qu’un va nus pieds, si habile soit-il. C’est le mérite contre la naissance. Œdipe réussit à convaincre Jocaste de l’épouser et devint ainsi roi de Thèbes. Le deuxième temps de l’oracle vient de s’accomplir Oedipe épouse sa mère. Le nouveau roi géra très favorablement les affaires de Thèbes et donna à Jocaste quatre enfants. Mais un jour la peste tomba sur la ville et un oracle expliqua que cette épidémie ne disparaîtrait que lorsqu’on aura découvert qui est le meurtrier de Laïos. Œdipe se charge alors de l’enquête. C’est la première enquête policière où l’enquêteur découvre qu’il est lui-même l’assassin recherché. Apprenant qu’il a tué son père et épousé sa mère Œdipe se crève les yeux et Jocaste se pend. Mais un oracle annonce aussitôt que là où mourra Œdipe ce sera la prospérité. Corinthe, Thèbes souhaitent alors qu’Œdipe vienne finir ses jours en leurs murs. Œdipe, rejeta Corinthe et les souvenirs de son enfance, et rejeta Thèbes où sa gloire fut si misérable, il choisit de mourir dans les faubourg d’Athènes, à Colone. L’oracle se réalisa encore. Athènes en effet connue la prospérité que l’on sait, dans les domaines politique, scientifique, artistique et philosophique.

 

C’est une prospérité du même ordre qui nous attend lorsque nous aurons, d’une manière ou d’une autre, réaliser ce que Freud appelle la sortie de l’Œdipe. Lorsque nous aurons délivré Œdipe dans notre propre histoire. L’extinction de l’Œdipe nous débarrasse de nos résistances inconscientes : la culpabilité, le refoulement, les répétitions, le transfert. Si la conscience morale rejette et dénie l’inconscient, l’inconscient en revanche favorise et enrichit l’activité consciente créatrice.

 

 

 

Si les malheurs de l’Œdipe accable tous les mortels il se manifeste pour chacun de façon différente. Je vous propose donc d’aborder le mythe d’Œdipe d’une manière nouvelle,c’est-à-dire, divisé en douze étapes. Elles notent des situations humaines que nous pouvons reconnaître partout, dans la littérature, le cinéma, l’histoire et notamment dans l’histoire de notre propre vie.

 

Vous pourrez constater, comme je l’espère, que chacune de ces étapes correspond à des moments essentiels de votre propre histoire.

 

Ces douze étapes forment pour ainsi dire une sorte de chemin de croix de toute existence. Mais vous pouvez aussi les voir comme une figuration des douze travaux d’Hercule, ou comme votre Odyssée personnelle ou, peut-être encore comme une sorte de zodiaque.

 

 

 

1/ Donc, premièrement il y a l’abandon :

 

Œdipe est abandonné dans une forêt au milieu de bêtes fauves, les pieds

 

liés, c’est-à-dire sans pouvoir fuir. (Chacun n’a -t-il pas vécu un pareil sentiment de détresse, d’abandon et d’angoisse ? Qui ne s’est pas senti comme le Petit Poucet  pleurant : «  Où sont mes parents »?Avec peu d’effort vous trouverez que vous avez vécu cette situation un grand nombre de fois, bien que leurs figurations soient à chaque fois très différentes. Rappelez vous, par exemple, votre premier jour à la maternelle ! Et si cela vous semble puéril, bien que ça ne le soit pas quand on le vit, et que vous aspiriez à des événements d’une élévation plus noble, vous n’avez qu’à méditer sur la « déréliction », concept philosophique qui signifie l’abandon en grec: pourquoi cette planète ? D’où vient-elle  et dans quel but ? Personne n’a ne réponse. Parce qu’il n’y en a pas. La déréliction c’est le fait que nous soyons jetés dans le monde, abandonnés de tout, sans lumière ni secours à attendre de quelque puissance supérieure, inférieure, ou autre. Et nous pouvons encore considérer avec effroi que nous sommes abandonnés dans le langage. Que veulent dire tous ces mots que nous ne comprenons pas ?

 

L’abandon, ce premier temps de l’Œdipe, chacun en fait, en a fait, ou en fera l’expérience.

 

 

 

2/Deuxièmement, il y a le sauvetage : Œdipe est recueilli par le roi de Corinthe, Polybe et la reine Péribée. ( Qui n’a pas été sauvé par quelque puissance généreuse à un moment ou un autre de son existence ? Qui n’a pas éprouvé ce sentiment de réassurance, de reconnaissance ? A la maternelle, une gentille maîtresse, nous a pris par la main, nous a installé à une table, nous donné notre goûter etc. c’était la reine Péribée ou Polybe, les souverains de Corinthe, en personne, et à bien y regarder nous en avons connus bien d’autres. Au milieu des mots inconnus voilà que surgit un sens. Les mots ne trouvent-ils leur sens, en quelque sorte, qu’en synchronie avec quelque roi et reine de Corinthe ?

 

 

3/En trois nous avons le doute : Œdipe doute de lui-même.

 

(Qui n’a jamais douter de lui-même ? Suis-je un animal, un végétal ou une simple chose ? Suis-je un enfant trouvé sorti de nulle part  et, en profondeur, de quel sexe ? Qui n’a pas éprouvé ce sentiment d’angoisse ? Qui sont nos parents ? Pourquoi sont-ce ceux-là et pas d’autres et pourquoi a-t-on des parents ? Quand on conçoit l’absence de raison par les quelles nous avons été jetés dans ce monde nous mesurons notre insignifiance.

 

Qui suis-je se demande le langage ? Quel mot, quel sens ? A quel mot à quel sens pourrais-je m’arrêter ? Et l’oracle (la bouche solennelle du vide) lui dit : tu es soumis au langage à ses métaphores et ses métonymies.

 

Evidemment « tuer son père » est une métaphore pour l’inconscient. Et « épouser sa mère » est une métonymie. Réduit que nous sommes au langage nous sommes toujours obligés soit de changer le signifiant et de garder le signifié, c’est la métaphore, soit de garder le signifiant et de changer le sens, c’est la métonymie. C’est ce qui s’opère continuellement dès que nous parlons. Tu es ton propre désir qui décide seul des mots et de leur sens. Voilà ce que signifie dans l’inconscient «  tuer son père et « épouser sa mère ». Ce qui n’a rien à voir avec le meurtre et l’inceste dans la réalité.

 

 

 

4/En quatre nous avons le refus de Delphes : Œdipe refoule l’inconscient.

 

Qui n’a jamais eu le sentiment angoissant de ne rien comprendre à ce qu’on lui dit, ou qu’il se dit à lui-même ? Qui n’a jamais eu envie de refouler ou refuser le destin qu’on lui propose ? Qui n’a pas eu envie de partir ailleurs faire fortune, qui n’a pas utilisé le mensonge pour changer sa condition ?

 

 

5/Cinquièmement le meurtre du père : Œdipe tue son père (qui n’a jamais trahi son père symbolique, réel ou imaginaire ?). ( Nous avons vu que « tuer son père » ne veut pas dire « tuer son père » mais qu’il s’agit d’une métaphore. C’est en refoulant le langage inconscient qu’Œdipe « tue son père ». Et ce que nous refoulons nous le vivons.

 

 

6/Sixième étape nous trouvons l’examen de la sphinge (qui n’a jamais eu à passer un examen essentiel où son existence était en jeu ? Qui n’a jamais fait cette expérience étrange de répondre juste sans connaître pour autant le sens profond de ce qu’il disait ? En tout cas, si nous n’étions pas confrontés à des questions vitales comment accéderions-nous au langage ? Vous vous souvenez de la réponse d’Œdipe, il répond juste sans savoir le sens caché de sa réponse. Ce sixième temps est celui où nous traversons des situations dont la réponse implique notre vie et notre mort et où nous réussissions sans trop savoir comment.

 

 

 

7/Septièmement le mauvais mariage : Œdipe devient roi de Thèbes et épouse sa mère. (Qui n’a pas eu de réussite satisfaisante bien que fondée sur quelque erreur fondamentale ? Jocaste représente, en quelque sorte, la langue pure et Œdipe la langue de la rue. D’abord Jocaste ne veut pas d’Œdipe, elle est une aristocrate et Œdipe un va-nu-pieds. Mais Œdipe montre qu’il est ce qu’il est par ses mérites tandis que la reine ne doit sa place qu’à sa naissance. Les deux langues finissent pas s’accoupler. Œdipe épouse Jocaste et devient roi de Thèbes. Qui n’a jamais fait de mauvais mariage en tout cas de mauvaises associations qui au début semblaient intéressantes et qui se sont révélées tragiques ?).

 

 

8/En huit nous avons la progéniture ou la production : Œdipe fait quatre enfants à sa mère. Qui n’a pas eu de progénitures ou quelques rejetons aux destins tragiques ? Ce sont ce que Freud appelle « les rejetons du refoulé ». La psychanalyse en sait quelque chose, elle est riche en rejetons dénaturés qui finissent en tragédie comme les enfants d’Œdipe. Qui pourrait dire qu’il n’a rien produit dans sa vie (enfants réels ou métaphoriques )?

 

 

9/ En neuf nous avons l’adversité : La peste tombe sur Thèbes.

 

Que veut dire « la peste tombe sur Thèbes » ? La peste tombe sur Thèbes. La peste tombe sur ta maison. La peste tombe sans cesse sur notre maison.

 

Qui ne s’est confronté à de mauvaises conjonctures dissociatives ? Qui n’ a pas vécu « la peste tombé sur Thèbes »,  comme si la vie n’était qu’une succession de mauvaises rencontres ?

 

 

10/ En dix nous avons la culpabilité : Coupable Œdipe découvre qu’il a tué son père et épousé sa mère. Qui ne sait dévoilé à lui-même comme imposteur ayant commis le contraire de ce qu’il souhaitait ? Qui n’a pas été victime de son propre langage ? Qui n’a pas découvert en lui-même un jardin secret qui pue le fumier ? Qui ne s’est pas découvert coupable et responsable de choses qu’il n’imaginait même pas ? N’y a-t-il pas de quoi se crever les yeux et partir mendier sur les routes 

 

 

11/En onze nous avons l’étape de la mort : La mort à Colone, faubourg d’Athènes. Nous mourrons toujours quand nous nous apercevons que nous avons été plus sourd qu’un sourd, plus aveugle qu’un aveugle, plus muet qu’un muet , bref, plus rien que rien. Car, nous sommes sans raison ni but, sans forme et sans nom. Nous constatons, pour peu que nous cessions de mentir à nous-mêmes, que sommes sans raison ni but, que rien ni personne ne nous attend. Nous sommes également sans forme puisque notre forme change sans cesse depuis le spermatozoïde que nous avons été, en pensant que le fœtus, l’enfant, puis le cadavre et la poussière que nous deviendrons sans qu’aucune de ces étapes ne possèdent de forme stable et définitive. Nous sommes par ailleurs sans nom puisque les noms qu’on nous donne ne sont pas les nôtres mais ceux des autres. Bref nous pouvons faire, sans mourir,  l’expérience de la mort. De fait, chacun meurt et connaît la mort dans sa vie même un grand nombre de fois.

 

 

 

12/ En douze, enfin, c’est la prospérité : L’oracle avait annoncé que le lieu où mourrait Œdipe connaîtrait une prospérité sans pareille. Aussi les cités faisaient-elle leur possible pour qu’Œdipe vienne finir ses jours en leurs murs. Corinthe rappelait qu’elle avait prit soin de lui quand il était enfant et qu’elle l’avait élevé. Thèbes rappelait qu’il avait été roi et qu’il appartenait à la ligné de Cadmos le fondateur de la ville. Mais Œdipe choisit de mourir dans le faubourg d’Athènes, à Colone. Colone en français sonne comme colonne. Et la colonne est un symbole ascensionnel. Là ou mourra Œdipe se sera la prospérité. C’est ce que Freud appelle la sortie de l’Œdipe, la fin du conflit névrotique, la sortie du fantasme, l’accès à la parole de l’inconscient, la fin de l’Œdipe c’est la prospérité intérieure, intime, la félicité inconsciente. C’est que la prospérité matérielle ou intellectuelle n’entraînent pas forcément la satisfaction vitale, alors que la fin de l’Œdipe autorise toutes les possibilités. L’accès au langage de l’inconscient est la fin de l’analyse et la prospérité de l’analysant. 

 

L’oracle se réalisa comme on peut le constater puisqu’Athènes connut une prospérité sans pareille. Elle inventa la philosophie, les principes des sciences, la démocratie, la liberté, les arts et d’une certaine manière la psychanalyse.

 

 

 

 

 

 

Je voudrai vous montrer  qu’on peut retrouver toutes les étapes de l’Œdipe dans l’histoire de Jésus Christ qui domine notre culture.

 

 

Comparaison entre le mythe d’Œdipe et celui de Jésus Christ.

 

1) Première étape : L’abandon - Œdipe est abandonné dans la forêt comme Jésus qui naît dans une étable.

 

2) Deuxième étape : L’aide - Le roi de Corinthe adopte Œdipe. Les rois mages apportent des présents à Jésus et des anges le protègent.

 

3) Troisième étape : Le doute - Œdipe doute de sa naissance. Jésus aussi : Est-il simplement le fils du charpentier Joseph ?

 

4) Quatrième étape : Le refus du destin - Œdipe refoule le destin qui lui est annoncé par la Pythie. Jésus aussi : il ne sera pas, il ne peut pas être charpentier.

 

5) Cinquième étape : Le changement de sens (ou meurtre du père) - Œdipe tue son père (Nous avons vu que « tuer son père », dans l’inconscient, qui n’est que langage, signifie changer de sens). Jésus se dira fils de Dieu. Ce qui est un changement extrême de sens.

 

6) Sixième étape : L’interrogation - Œdipe répond au sphinx. Jésus répond à toutes les questions des rabbins.

 

7) Septième étape : L’identification à un nom (ou épouser sa mère) - Œdipe épouse sa mère (Dans l’inconscient, qui n’est que langage, « épouser sa mère » signifie se faire un nom. Jésus devient célèbre.

 

8) Huitième étape : Le code ou savoir faire - Œdipe fait quatre enfants à sa mère (dans l’inconscient, qui n’est que langage, faire quatre enfants, c’est trouver son discours, son code, son savoir faire. Tous les gens célèbres ont leur propre code. Quatre est le chiffre minimum de tout langage comme le code ACGT de l’ADN. Jésus enseigne selon son code, rapporté précisément par les quatre évangiles. « Quatre ne donne accès que d’être puissance », dit Lacan dans Télévision (p. 43).

 

9) Neuvième étape : La situation d’épouvante - La peste tombe sur Thèbes. Les rabbins font un procès à Jésus.

 

10) Dixième étape : La culpabilité - Œdipe découvre qu’il est coupable. Jésus prend sur lui tous les péchés du monde.

 

11) Onzième étape : La mort - Œdipe meurt à Colone. Jésus sur la croix.

 

12) Douzième étape : La prospérité - Selon l’oracle le lieu où meurt Œdipe connaîtra la prospérité. Ce qui fut démontré par la prospérité d’Athènes dans tous les domaines. Selon ce que rapporte les évangiles Jésus est ressuscité. Conséquence : le succès de la religion chrétienne.

 

 

 

Sans les Grecs il n’y aurait donc pas eu de christianisme et sans doute il n’y aurait pas eu Freud.

 

Freud nous dit que : « Chaque nouvel arrivant dans le monde est mis en devoir de venir à bout de son Œdipe. » Ce qui veut dire que tant que nous n’approfondissons pas dans notre vie individuelle, l’histoire d’Œdipe, nous aurons beaucoup de mal à savoir nous rendre heureux.

 

 Nous pouvons donc utiliser les douze étapes de l’histoire oedipienne que je vous ai présentées pour comprendre et nous libérer des désirs qui causent notre souffrance.

 

 Dans quelle « crèche » suis-je né ?
 Dans quelle famille ai-je connu mes premières détresses ?
 Qui m’a aidé dans la vie ?
 Quels sont mes doutes essentiels ?
 Quels destins ai-je refusés ?
 Combien de fois ai-je véritablement changé de sens ?
 Quels furent mes examens, mes grandes interrogations ?
 Quelle est ma situation véritable ?
 Qu’est-ce que je sais faire ?
 Quelles sont les moments d’épouvantes que j’ai traversés ?
 De quoi suis-je vraiment coupable ?
 Combien de fois ai-connu la mort ? Qui sont mes meurtriers ?

 

 

« L’angoisse de mort, comme le fait remarquer Freud, est issue de la culpabilité » (étape 10). Remarquons que lorsqu’on accepte l’idée qu’on est déjà mort, on n’a plus peur de rien, ce qui est assez avantageux dans les bagarres pour la vie. Dans le devenir la mort est au service de la vie (12ème étape).
 Quelle est pour moi le sens de la prospérité, de la joie, du bonheur et de l’action ?

 

Ces douze questions ne constituent pas un interrogatoire psychologique mais bien douze portes pour entrer dans la dimension de l’inconscient.

 

 

 

« Je viens je ne sais d’où,
Je suis je ne sais qui,
Je meurs je ne sais quand,
Je vais je ne sais où,
Et je m’étonne d’être
toujours aussi joyeux » (Poème de Martinus von Biberach, Moyen Age).

 

 

Ce qui soutend qu’il n’y a pas d’origine. L’origine est sans origine autre que le langage. Nous n’avons ni père ni mère, ni aucune descendance, nous sommes seulement libres et responsable que de ce que nous disons. « Il n’est éthique que du Bien-dire », affirme Lacan (Télévision, p. 39). Il n’y a d’éthique que du bien dire de l’inconscient, du bien dire de notre daimôn.

 

 

www.cercle-psychanalytique-paris.fr

 

 

 

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